Le temps de la justice n'en finit pas. Depuis plus de 10 ans, les laboratoires Servier sont accusés d'avoir provoqué plusieurs centaines de décès avec le Médiator, un médicament antidiabétique largement utilisé comme coupe-faim. Il y a deux ans, le laboratoire pharmaceutique avait été condamné en première instance à plus de deux millions d'euros d'amende pour "tromperie aggravée". Mais il y a eu appel de la décision, et un nouveau procès a lieu depuis début janvier, un procès prévu pour durer 6 mois.
Le procès en appel du Médiator a commencé début janvier. Pour la pneumologue brestoise Irène Frachon, qui avait révélé l'ampleur du scandale sanitaire, cet énième procès est insupportable. "On attend toujours la même chose, malheureusement, qui n'a pas été obtenu lors du premier procès : une justice qui sanctionne de manière exemplaire un comportement totalement criminel et inacceptable" souligne-t-elle. "Servier a vendu en connaissance de cause un poison à des millions de consommateurs, et a provoqué la mort de milliers d'entre eux" poursuit-elle. "Ce sont des faits absolument inouïs par leur gravité, et qui doivent être condamnés" assène la pneumologue.
Débuté en janvier, le procès doit durer jusqu'au mois de juin. "Ces six mois sont à mes yeux absurdes. Ils font partie d'une stratégie d'étouffement de la justice et de manipulation de la justice par Servier qui prétend que l'affaire est extrêmement compliquée, et qui appelle à la barre des pseudos-experts américains absurdes qui viendront raconter n'importe quoi".
La question scientifique est extrêmement simple
En réalité, pour la médecin, la question posée est d'une grande simplicité. "Il n'y a en fait strictement aucun suspense, aucune question à laquelle on ne sache pas répondre : on a tous les documents qui montrent que Servier cachait la présence de cette norfenfluramine."
Dans un propos liminaire lors de ce procès en appel, l'ex-numéro deux de Servier a admis une "erreur d'évaluation du risque". Pour le Dr Irène Frachon, c'est absurde. "Il y a zéro concession, c'est ce qu'ils disent depuis le début : 'Oui, on s'est un petit peu gouré'". Pour elle, Servier "a dissimulé qu'il s'agissait d'un poison mortel dont on ignorait rien, pendant 12 ans". Elle poursuit : "C'est pas une erreur d'évaluation ça, c'est un délit, un acte absolument fou et dont les conséquences sont ravageuses".
Les gens continuent à mourir
Dans son hôpital brestois de la Cavale Blanche, le Dr Irène Frachon continue de voir des patients victimes de ce médicament, alors que le Mediator est interdit depuis 2009. "14 ans après le retrait du Médiator, les gens continuent à en mourir, les victimes continuent à mourir ou à en souffrir" souligne la pneumologue. "En décembre, deux victimes que je connaissais très bien sont mortes après des agonies absolument effrayantes. Il y a trois jours, une de nos victimes a été opérée à cœur ouvert on lui a changé deux valves qui sont absolument typiques d'une intoxication au médiator et elle est actuellement en rédimation entre la vie et la mort" témoigne-t-elle.
Au terme de tant d'années de procédure, les victimes sont lasses. "Les victimes sont désabusées et sont désespérées. Elles ne comprennent pas, elles ne comprennent plus ce qui se passe, ces procès à répétition" souligne Irène Frachon. Par ailleurs, les procédures d'indemnisation sont complexes. Pour la pneumologue, "les victimes ont en face d'elles des monstres".
Dans la bande dessinée "Mediator, un crime chimiquement pur" (Editions Delseur) qui retrace le combat de la médecin brestoise, une double page reprend une partie des prénoms des victimes. Elles s'appellent Jacqueline, Monique ou Henriette, et sont mortes après avoir ingéré ce médicament. "Il faut se pencher sur ses prénoms, car on voit des générations les générations Mediator ceux qui ont été attaqués empoisonnés tués par le Mediator, ce sont des gens qui ont aujourd'hui 70 ans". "C'est aussi beaucoup de prénoms maghrébins, parce que le Mediator a été massivement consommé par des populations maghrébines en région PACA autour de Marseille". Ces dizaines, ces centaines de prénoms sont des personnes souvent issus de famille modestes. C'est pour elles qu'Irène Frachon a souhaite mené son combat. Le combat d'une vie.
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