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Rapport Sauvé « Accepter le "caractère systémique" fut une faute majeure des évêques » Pierre Manent

Un article rédigé par Thomas Cauchebrais - RCF Anjou, le 21 février 2023 - Modifié le 21 février 2023
Au cœur de l'Ouest, l'invitéRapport Sauvé : la sévère critique du philosophe Pierre Manent

Le 25 novembre, le journal la Croix révélait que 8 intellectuels de l’Académie catholique de France, dont Pierre Manent, avaient envoyé au pape un texte très critique à propos du rapport de la CIASE. De passage à Angers, le philosophe a accordé cet entretien à RCF Anjou.

©RCFAnjou - Pierre Manent©RCFAnjou - Pierre Manent

Pourquoi avoir souhaité établir une étude critique du rapport de la commission Sauvé ?

Je tiens à préciser que ce rapport critique, nous en sommes les seuls auteurs. Ce sont 8 membres de l’Académie catholique qui se sont retrouvés, non pas en tant que membres de cette institution, mais en tant qu‘enseignants, professeurs, intellectuels catholiques profondément choqués par les modalités de ce rapport Sauvé et qui ont « cédé » à l’urgence de répondre. En effet, il n’était pas possible de laisser l’opinion sous ce coup de massue que représentait ce rapport. Le rapport n’est pas séparable de ses conditions d’annonce et des suites qui lui sont données. 48 heures avant la remise du rapport, les médias ne parlaient déjà que de cela et annonçaient que l’Eglise allait être submergé par un tsunami de révélations sur le fléau de la pédophilie. Le rapport a été remis, non pas véritablement au président de la CEF, mais à l‘opinion publique. […] Sans que la CEF n’ait eu le temps de prendre connaissance du contenu de ce rapport qu’elle avait elle-même demandée. Elle a donc été, pendant quelque jours, assommée par un chiffre faramineux, que tout le monde a pris pour l’addition réelle des faits avérés et nous avons donc décidé de monter au créneau pour dire « Attention, ce rapport n’est pas ce que l’on vous fait croire qu’il est » et nous avons développé nos critiques.

Votre principale critique porte sur le chiffre de 330 000 victimes. Pourquoi ?

Ce chiffre est problématique car nous voyons bien que le nombre de cas documentés (victimes, coupables, lieux et dates connus) est beaucoup moindre que le chiffre annoncé de 330 000 victimes. Nous voulions attirer l’attention sur le fait que ce chiffre était obtenu à la suite d’extrapolations statistiques fragiles et non adaptées au type d’actes que l’on veut inventorier.  Nous ne contestons absolument pas la gravité et l’étendue de la pédophilie dans l‘Eglise mais nous disons que c’est une très mauvaise façon de procéder que d’assommer l’opinion publique sous un chiffre qui est censé résumer ce phénomène déplorable. On ne peut pas s’adresser à l’opinion par un chiffre alors que l’on a absolument pas averti l’opinion de la manière dont ce chiffre a été élaboré. Et je rajouterai que l’on ne peut pas, sur la base de ce chiffre, paralyser l’Eglise et lui imposer des recommandations de réformes qui sont, aux yeux de l’opinion, rendues irrésistibles par ce chiffre.

C’est à partir de ce chiffre pourtant que Jean-Marc Sauvé a mis en avant la responsabilité « systémique » de l’Eglise. Comment interprétez-vous ce mot « systémique » ?

Tout d’abord, vous savez bien que les imputations collectives ne sont pas la justice. Les responsables, ce sont les coupables. Ce sont les clercs criminels et, éventuellement des évêques qui ont été aveugles ou sont restés passifs devant des faits de pédophilie. Il ne faut donc pas confondre le membre d’une organisation et l’ensemble de celle-ci.

Maintenant, j’en reviens à la notion de « caractère systémique ». C’est une proposition extrêmement grave ! Qu’est-ce que veut dire « systémique » ? Cela veut dire que la structure même de l’organisation est coupable. Quelles en sont les conséquences ? Tout d'abord, que les membres individuels, c’est-à-dire les véritables coupables, sont exonérés de leur faute puisque c’est l’organisation qui est coupable. D’autre part, si le système est coupable, cela veut dire que la réforme du système ne peut pas venir de l’organisation elle-même.

En acceptant que le fléau de la pédophilie soit considéré comme un fléau « systémique » de l’Eglise, nos évêques ont accepté qu’ils soient déclarés inaptes à réformer l’Eglise. Par conséquent, un certain nombre des plus importantes recommandations de la CIASE place l’Eglise sous la tutelle d’organisations et d’associations qui n’ont aucune responsabilité civile ou ecclésiale mais qui sont faites pour réformer l’Eglise. 

C’est cela le plus grave dans l’acceptation du terme de « caractère systémique ». Je le répète, c’est une faute majeure de la part des évêques d’accepter cet adjectif.

Sœur Véronique Margron, présidente de la CORREF a répondu à votre critique dans La Croix en disant « Que la projection soit discutée, qu’elle soit de 200 000 victimes estimées plutôt que de 300 000 ou de 400 000, cela ne change rien… La dimension systémique tient au fait que des agresseurs ont pu agresser pendant trente, voire quarante ans, qu’ils aient été couverts par leur hiérarchie, parfois même que celle-ci se soit rendue complice ». Quelle est votre réponse ?

C’est une curieuse façon de raisonner. On annonce un chiffre qui est l’élément essentiel du rapport, et quand ce chiffre est contesté, on vous répond que ce chiffre n’a pas d’importance ! Si ce chiffre n’a pas d’importance, pourquoi annoncer ce chiffre ? Ce rapport ne nous apprend rien. Le phénomène de la pédophilie dans l’Eglise est connu déjà depuis 15 ans au moins.

Ce rapport orchestre le scandale réel pour en faire la justification d’une attaque délibérée contre l’Eglise de la part d’une commission qui n’a aucune légitimité. 

A quel titre cette commission prétend-elle réformer la fonction du prêtre ? Car, pour employer le langage d’aujourd’hui, la grande réforme qu’elle promet, c’est la déconstruction du prêtre catholique. On touche au sacrement… à la confession… On recommande de lire l’Evangile de telle façon… On intervient donc dans la vie propre de l’Eglise ! […] Je le répète, quelle-est la légitimité de cette commission qui ne se présente pas (à juste titre) comme catholique mais qui propose pourtant une réforme entière de l’Eglise catholique ?

C’est tout de même très grave l’accusation que vous portez. Insinuez-vous que Jean-Marc Sauvé et sa commission se sert de ce moyen pour faire encore plus de mal à l’Eglise-institution ?

Non, je ne dis pas que l’intention qui est derrière cette commission est de faire du mal à l’Eglise. Je ne porte aucun jugement sur les intentions des personnes.

J’observe seulement qu’une commission, mandatée pour informer de l’ampleur du fléau, a fait ce travail en apportant beaucoup d’informations valides. Néanmoins, elle a dressé des extrapolations hasardeuses et a ensuite pris prétexte de ce travail pour proposer des réformes. Ce qui dépasse largement son mandat. Pourtant, la conférence des évêques, assommée par ce chiffre, a eu l’imprudence d’accepter. […]

 

 

Pour écouter la version audio intégrale de cet entretien, veuillez remonter en haut de la page.

 

© RCF Anjou - Au Coeur de l'Ouest, l'invité
Cet article est basé sur un épisode de l'émission :
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