Syrie
Arrivés en 2015 de Syrie après un long périple à travers l'Europe, Essam Hendieh et sa famille ont trouvé un deuxième foyer à Saint-Jean-d'Angély. Après avoir vécu toute leur vie sous le régime Assad, d'abord le père, puis le fils, ils réalisent encore à peine que la dictature est terminée. Pas question, toutefois, de se réjouir trop vite.
"On n'a pas dormi de la nuit". Même à plusieurs milliers de kilomètres, même près de dix ans après avoir quitté la Syrie, la chute du régime el-Assad a bouleversé Naram Hendieh. Installée sur son canapé, la mère de famille syrienne a observé fiévreusement la dictature qu'elle a toujours connue s'effondrer, plus de cinquante ans après l'arrivée au pouvoir d'Hafez el-Assad, père de Bachar. Une semaine plus tard, les émotions sont toujours aussi fortes. La joie et la peur se mélangent, l'espoir semble à portée de main... Mais c'est encore trop tôt. Pour Naram et son mari, Essam, il faudra attendre "un an minimum" pour mesurer l'ampleur du bouleversement qui vient de toucher la Syrie.
La chute du régime de Bachar el-Assad, c'est plus qu'une page qui se tourne pour la famille Hendieh. Musulmans originaires des banlieues de Damas, Naram et Essam ont fui le pays en 2015 pour protéger leurs enfants. Les voilà embarqués dans un périple de plusieurs milliers de kilomètres, à travers "onze frontières", se rappelle Naram. Ils arriveront finalement à Paris en septembre 2015, en provenance de Munich. Après deux mois dans un "centre sportif" de la capitale, ils se voient offrir la possibilité de rejoindre Saint-Jean-d'Angély.
Après la guerre, Essam aspirait à une ville qui allait "très doucement", sourit le père de famille. Aujourd'hui, Essam travaille dans un lycée à Surgères et Naram dans une maison d'accueil pour handicapés à Saint-Jean, tous les deux en tant qu'agents de restauration. Leurs quatre enfants sont encore à la maison : les deux aînés travaillent, tandis que les deux derniers, des jumeaux, sont encore au lycée.
S'ils suivent de très près l'actualité en Syrie, Naram et Essam n'ont presque plus de liens familiaux sur place. Membre d'une fratrie de six garçons, Essam a trois frères en Arabie Saoudite, un en Allemagne et un en Suède. Son père est décédé du Covid, mais il n'a pas pu retourner en Syrie pour ses funérailles. Du côté de Naram, une soeur est aux Pays-Bas, un frère en Allemagne. Les parents, eux, sont toujours en Syrie ; ils communiquent avec leur fille sur Facebook, quand il y a "de l'électricité".
Après l'annonce de la chute de la dictature et de la fuite de Bachar el-Assad, réfugiés comme restés sur place partagent le même choc. "On ne s'est jamais attendu à cette nouvelle", confie Naram, née après l'arrivée au pouvoir d'Hafez el-Assad. Pour le couple, qui connaissait des victimes des armes chimiques utilisées par le régime, l'arrivée au pouvoir du groupe islamiste Hayat Tahrir al-Cham (HTC) est moins inquiétante qu'on ne pourrait le croire, même s'ils évitent de se réjouir trop vite.
"On n'a pas de problème avec eux... S'ils arrivent avec la démocratie", souligne Essam. Pour le père de famille, l'important, c'est "la question des minorités", alors que le Premier ministre de transition Mohamed al-Bachir a assuré que le pouvoir respecterait "les droits de toutes les communautés". Le père de famille ne peut croire que les Syriens accepteraient un régime islamiste radical et des persécutions contre les autres religions : "Je suis sûr que la majorité de la population syrienne est contre la violence", assure le désormais Angérien, "tout le monde cherche la paix". Un constat partagé par sa femme : "on habite tous ensemble, on partage la même terre" ; un régime islamiste, "cela ne marche pas".
Dorénavant, l'appartement est rempli de drapeaux syriens aux trois étoiles à cinq branches, symboles de l'opposition au régime depuis le début de la guerre civile en 2011. C'est Maya, quatorze ans, qui les confectionne. Même si l'adolescente est partie de Syrie à six ans et n'en garde que peu de souvenirs, elle assure avoir toujours cru en la chute du régime syrien : "depuis que je suis petite, je veux voir la Syrie libérée et je dis que la Syrie va se libérer".
Un retour en Syrie est toutefois exclu pour la famille Hendieh. "J'ai commencé en France de 0", explique Naram Hendieh, "je ne peux pas recommencer encore". D'autant plus avec encore deux enfants au sein du système scolaire français : "je ne peux pas dire à mes enfants d'apprendre l'alphabet arabe pour aller à l'école, ce [serait] trop dur pour eux".
Essam, lui, souligne le très bon accueil reçu à leur arrivée à Saint-Jean-d'Angély, neuf ans auparavant, et la gentillesse des habitants. Surtout, il montre des photos des décombres de son ancien immeuble, près de Damas. Sur les vidéos, on voit les carcasses des appartements, les rues jonchées de débris. Une question résonne : "On revient où ?"
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