Le scandale des Ehpad du groupe Orpéa, révélé par le journaliste Victor Castanet, met en lumière les profits réalisés par les groupes privés du secteur du grand âge. Au-delà des cas de maltraitance, on se demande s'il est moral de parler chiffre d'affaires et bénéfices quand il s'agit de la vie de personnes âgées dépendantes et fragiles. À moins de trois mois du premier tour de la présidentielle, le défi est lancé aux candidats : alors que la loi "grand âge" a été abandonnée sous le quinquennat Macron, comme durant les précédents, va-t-on enfin agir pour prendre soin de nos aînés ?
À moins de 90 jours du premier tour, RCF entame ce lundi 24 janvier une série d’émissions spéciales pour décrypter des thèmes essentiels de la campagne avec des acteurs de terrain. L’objectif : aider chaque citoyen à discerner avant son vote.
Que les plus vieux d’entre nous soient au cœur de cette campagne présidentielle : il faut bien le reconnaître, il y a trois semaines encore ce n'était pas gagné ! La loi "grand âge" a été abandonnée le 8 septembre 2021. En fait, cela fait plusieurs quinquennats que les professionnels alertent sur la gravité de la situation. Si la sortie du livre "Les Fossoyeurs" (éd. Fayard) fait exploser au grand jour de terribles cas de maltraitance dans les Ehpad du groupe Orpéa, personne n’est dupe. Certes, des dérives aussi graves ne sont pas généralisées, mais partout les restrictions budgétaires ont conduit à moins bien s'occuper des plus vieux, et on comprend bien l’euphémisme de la formule.
Restrictions budgétaires contre bénéfices. Depuis la parution du livre de Victor Castanet, les médias se concentrent sur les profits du groupe Orpéa. Cela pose la question : est-il moral de faire des bénéfices sur le dos des plus vieux ? "Le fait qu’il y ait des bénéfices derrière nous scandalise, admet Philippe Albanel, mais je trouve qu’on ferait une erreur de s’attarder uniquement sur Orpéa, que sur les Ehpad privés."
Pour le fondateur du café intergénérationnel Chez Daddy (à Lyon), le problème vient des dirigeants, qui, "aussi bien dans le milieu politique que dans le milieu privé", se trouvent "déconnectés du terrain". Sont-ils les victimes consentantes d'un modèle managérial qui a pour "but principal de réduire et de maîtriser les coûts", comme l'explique Michel Bass ? Selon lui, ce modèle, "qui repose sur le new public management" est "quelque chose de technique et d'idéologique, inclut dans la loi de janvier 2002". Médecin de santé publique et socio-économiste, Michel Bass a été médecin-coordinateur en Ehpad puis médecin traitant en géronto-psychiatrie. Il vient de publier "L'anti-manuel de management dans les Ehpad et autres établissements médico-sociaux" (éd. Éres).
Public, privé, privé à but non lucratif : ce n'est pas la question du statut qui résoudra le problème, estime Romain Gizolme. Il rappelle que "dans le secteur des établissements de personnes âgées, la part du statut commercial c’est à peu près 20% de l’activité". Le reste, ce sont donc des établissements publics ou privés associatifs, à but non lucratif. "Pour lesquels ça ne se passe pas beaucoup mieux, ajoute le directeur de l'AD-PA (Association des directeurs au service des personnes âgées), hormis les pratiques qui pourraient être délictueuses voire maltraitantes qui sont pointées du doigt dans l’enquête [de Victor Castanet]."
Cela fait des années que l’on alerte sur le manque criant de personnel dans les Ehpad. Le livre de Victor Castanet va-t-il avoir l’effet d’un électrochoc ? Déjà, en 2006, l’État prévoyait qu’à l’horizon 2012, il fallait arriver à huit professionnels pour 10 personnes accompagnées, voire 10 pour 10 dans les situations les plus compliquées. "Nous n’y sommes clairement pas ! On est sur des ratio moyens aujourd’hui de 6 professionnels pour 10 personnes à accompagner", précise le directeur de l'AD-PA.
Or, "que vous soyez un établissement public, associatif ou commercial", c'est "la puissance publique détermine l’enveloppe dont vous disposez pour recruter des personnels soignants, d’infirmiers, éventuellement des médecins", explique Romain Gizolme. Par ailleurs, "l’État s’est toujours refusé" à appliquer un ratio minimum de personnel, sur le modèle du secteur de la petite enfance.
"Il y a un turn over très important des personnels, témoigne Michel Bass, on est obligés bien souvent d’embaucher des gens qui n’ont pas de qualification." Pour prendre soin des aînés, on embauche en "très grande majorité des très jeunes femmes", qui se trouvent confrontées au "vieillissement, à la maladie, à la fin de vie, à la mort et au deuil"... Autant de "problèmes extrêmement difficiles", pour lesquels la formation ne suffit pas. C’est aussi une "question d’accompagnement des équipes à réfléchir au sens de leur pratique", estime le médecin. "Or cet accompagnement-là n’est quasiment pas fait dans les Ehpad."
Une "maltraitance institutionnalisée". L’expression revient souvent et depuis plusieurs années, au sujet des Ehpad et des établissements pour personnes âgées. L’expression met en lumière une dimension systémique. Pour Michel Bass, "le modèle de la prise en charge des personnes âgées repose sur des problèmes assez sérieux". Il énumère : "la concentration de personnes vulnérables", qui les "exclut au passage assez radicalement de la société", et qu’a mis en lumière la pandémie de Covid ; le fait que ce soient "des lieux d’hébergement" et non des lieux de vie autrement dit des "lieux de passage" où "on attend la mort" ; et aussi la surmédicalisation de la vieillesse : "Le problème c’est que la santé, la vie, le bien-être et le bonheur des gens, ce n’est pas seulement de se faire soigner et de soigner des maladies."
Le modèle des Ehpad visiblement "ne satisfait ni les personnes âgées elles-mêmes, ni les familles ni les professionnels", comme le note Romain Gizolme. Il y a donc "un sujet de fond" auquel il faut s'atteler. Beaucoup de candidats, d’hommes et de femmes politiques veulent donner la priorité au maintien à domicile.
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