Une première impression de quelque 320 000 exemplaires, un auteur absent des médias mais une presse dithyrambique… Sérotonine : on n’a plus que ce titre-là sur les lèvres dans les milieux très autorisés de la littérature française. Ma chronique ayant pour modeste ambition d’évoquer l’actualité littéraire, je ne pouvais pas passer à côté de ce bulldozer.
L’histoire : Florent-Claude Labrouste, ingénieur agronome de son état, traîne son mal de vivre et ses échecs sentimentaux, qu’il raconte dans le détail, avec ce qu’il faut de bravade, cela va sans dire. Il porte son regard désabusé sur un monde en crise, ayant perdu toute ambition d’agir : "l’idée qu’on ne peut de toute façon pas grand-chose à quoi que ce soit finissait tranquillement par s’imposer". Et il y a notamment des pages éprouvantes sur le mal-être des éleveurs de Normandie. On est bien dans l’univers Houllebecquien : déprimé, désespéré, pataugeant dans la névrose obsessionnelle d’un anti-héros. On pourrait croire que tout est foutu…
On n’est pas surpris du climat dépressif d’un roman de Houellebecq…
C’est là qu’il faut lire entre les lignes, ou plutôt retrouver au détour d’une page un brin d’espoir : "j’ai connu le bonheur, je sais ce que c’est, je peux en parler avec compétence, et je connais aussi sa fin…", confesse le narrateur qui ajoute encore : "Le monde extérieur était dur, impitoyable aux faibles, il ne tenait presque jamais ses promesses, et l’amour restait la seule chose en laquelle on puisse encore, peut-être, avoir la foi". Il salue enfin "ces petites personnes admirables qui permettent le fonctionnement de la société dans une période globalement inhumaine et merdique". N’allez pas croire que le héros de Houellebecq ou l’auteur lui-même sont devenus de joyeux drilles, et je vous rassure : allergique au bonheur, le romancier tient à sa réputation sulfureuse… Il y a aussi des scènes obscènes, volontairement morbides et violentes.
Est-ce nécessaire au roman ? Houellebecq fascine aussi pour sa capacité à transgresser…
Mettre une écriture talentueuse au service d’un art consommé de la provocation n’a pas selon moi grand intérêt. Mais c’est aussi la force de la littérature de pouvoir tout dire, tout aborder, au risque de choquer, vous voilà prévenu. Ce n’est pas le plus intéressant. Non, ce qui est touchant et aussi inquiétant, c’est la noirceur, l’absence de perspective du narrateur, qui se trouve "dénué de désirs comme de raisons de vivre", qui n’arrive pas à aimer, qui survit dans une chambre d’hôtel pour fumeurs. Un héros triste et désenchanté qui serait le portrait-type de nos contemporains, condamnés à la solitude. "Les hommes en général ne savent pas vivre, ils n’ont aucune vraie familiarité avec la vie, ils ne s’y sentent jamais tout à fait à leur aise". C’est sûr, la vie est dure, mais pas seulement. Et on souhaite à Houellebecq de ne pas trop ressembler à son personnage, même si ça fait partie de son plan com’.
Nous aussi on aura parlé de Sérotonine de Michel Houellebecq, publié chez Flammarion. Merci Christophe !
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