Après une lente agonie, le train de nuit retrouve des couleurs. L’inauguration début décembre des lignes Paris-Berlin et Paris-Aurillac montre que le gouvernement a entendu les appels de la société civile à re-développer cette alternative crédible à l’avion. Reste que pour ne pas retomber dans ses anciens travers, le train de nuit va devoir relever les défis du confort, de la logistique et du modèle économique.
“Je n’avais pas de place en couchette donc j’étais assis, mais on peut déplier les sièges et c’était très confortable” témoigne un voyageur arrivé à 10 h 24 ce jeudi de décembre à la gare de l’Est à Paris. Le sourire dans la voix relève du fait d’armes après quatorze heures passées dans un train de nuit. Car ce voyageur est parti la veille de Berlin avec la liaison nocturne qui a été relancé début décembre. Il est devenu le symbole du renouveau de ces oiseaux de nuit. “Après une mauvaise expérience, il y a dix ans, ce voyage était beaucoup mieux” témoigne une autre voyageuse, “la salle de bain est spacieuse, il y a un petit déjeuner et il y a une personne pour nous aider au moindre souci” énumère-t-elle.
A chaque fois que la SNCF a mis en place une ligne TGV, le train de nuit correspondant a été supprimé
En plus de ce Paris-Berlin, le gouvernement français a également relancé un Paris - Aurillac depuis le début du mois. Il envisage même d’avoir dix lignes de trains de nuit d’ici 2030 contre six actuellement au départ de Paris. Une vraie renaissance après des décennies de lente agonie.
"À partir de 1981 et la mise en circulation de la ligne à grande vitesse entre Paris et Lyon, la SNCF a divisé par deux les temps de parcours et le train de nuit qui partait à minuit de Paris pour arriver à 6h00 à Lyon a donc disparu en même temps l’arrivée du TGV” raconte Eric Boisseau, président de l’association Objectif Train de Nuit. “Ensuite, à chaque fois que la SNCF a mis en place une nouvelle desserte TGV, le train de nuit correspondant a été supprimé” complète-t-il.
Le train de nuit correspond à un besoin que la SNCF ne satisfait pas avec ces TGV
“La concurrence de l’avion low-cost a également été très préjudiciable au train de nuit” ajoute, François Guénard, expert ferroviaire au cabinet Roland Berger. Le modèle est ensuite tombé dans un cercle vicieux. “L’équation économique n’était plus là” résume-t-il. Cette offre, subventionnée par l’État, n’était plus une priorité, ni pour les pouvoirs publics, ni pour la SNCF, la qualité du service a donc diminué en même temps que le nombre de voyageurs. Le coup de grâce intervient avec la mise au rebut en 2017 de la ligne Paris-Nice qui a finalement été relancée par le Premier ministre Jean Castex en 2021.
Selon Eric Boisseau, la demande n’a en réalité jamais disparu. “Les citoyens se sont mobilisés pour demander le retour des trains de nuit”, assure-t-il en référence au collectif Oui au train de nuit qui milite depuis des années, notamment à coup d’opération pyjama dans les gares. “Le train de nuit correspond à un besoin que la SNCF ne satisfait pas avec ces TGV” selon Eric Boisseau. “Au lieu d’un trajet entre 5 h 00 et 8 h 00 certaines personnes préfèrent partir la veille à 22 h 00 et faire une nuit complète dans un train offrant des places couchées” assène-t-il.
Le renouveau du train de nuit est donc parti de la base, mais au-delà de la demande pratique la question écologique a également pesé dans ce retour. Ce renouveau intervient dans un contexte très différent où la volonté de décarboner son voyage est de plus en plus prégnante. Ainsi, pour 158 kg d'émissions de C02 sur un Paris-Nice en avion, vous n’émettrez que 6 kg avec un train de nuit. “L’argument écologique commence a pesé” reconnaît François Guénard, “même si dans les chiffres de trafic cela reste encore relativement marginal par rapport aux grands flux du TGV et de l’avion”.
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Ce tournant, Adrien Aumont l’a bien compris. Avec son associé, Romain Payet, il veut relancer le train de nuit européen via sa société fondée en 2021 : Midnight Trains. Pour l’instant en Europe, seule l’Autriche a développé une véritable politique de train de nuit à l’échelle nationale. Depuis Paris l’offre ferroviaire globale internationale se résume à Bruxelles, Londres, Amsterdam, Berlin ou encore Milan. Midnight Trains envisage, à partir de 2025 d’ouvrir des lignes de nuit Paris-Milan-Venise, Paris-Florence-Rome, Paris Barcelone ou encore Paris-Madrid. “L’idée principale est de considérer qu’il n’y aura pas d’avion propre avant la fin du siècle, il faut donc une alternative pour voyager en dehors de France” explique Adrien Aumont.
Le fait qu’une société privée se lance dans l’aventure des trains de nuit et parvienne même à lever des fonds est déjà une preuve en soi que le modèle séduit de nouveau. Maintenant, il va falloir continuer à dépoussiérer l’image du train de nuit et cela passe par un travail sur le confort. “On ne descendra pas massivement les gens de l’avion si le train de nuit ne gagne pas en intimité et en confort” prédit le cofondateur de Midnight Trains.
Aujourd'hui le problème pour relancer le train de nuit, c’est le manque de disponibilité du matériel
Sauf que ce défi est d’abord logistique. “Au-delà du confort de la cabine, de l'aménagement à l'intérieur et du service à bord, l’enjeu clé est celui du couchage et vous passerez une nuit beaucoup plus calme si vous avez de bonnes suspensions” explique François Guénard. “Or aujourd’hui le problème pour relancer l’offre, c’est le manque de disponibilité du matériel” continu l’expert ferroviaire. Il y a parfois des délais de quatre ou cinq ans, car les lignes de production en Europe sont saturées.
Les Autrichiens ont anticipé et commandé du matériel neuf, à l’inverse de l’État français qui est obligé de rénover des anciennes rames pour donner corps à ses ambitions. “On peut faire beaucoup, beaucoup de choses en rénovant un train mais les suspensions sont une des limites” averti François Guénard. “Malgré toutes les rénovations possibles, cela va impacter le couchage et c’est le point d’expérience client qui reste le plus fragile”. Pour offrir un confort maximal Midnight Trains doit donc attendre pour avoir du matériel au niveau. Le lancement des premières lignes, annoncé un temps pour 2024 a été reporté en 2025.
Outre le confort, le train de nuit va devoir trouver un vrai modèle économique s’il veut vraiment renaître de ses cendres. L’enjeu est d’autant plus important qu’en misant sur le confort, avec des compartiments privés, insonorisés et des vrais lits, Midnight Trains risque de transformer son offre en produit de luxe. Un risque qu’écarte Adrien Aumont qui promet des billets accessibles. “Toute personne qui a les moyens de voyager avec EasyJet, pourra voyager avec nous”, assure-t-il. L’argument financier principal du train de nuit reste l’économie d’une nuit d’hôtel par rapport à l’avion.
Ensuite, pour la société privée, “la première chose est de s'attaquer à un marché sur lequel il y a beaucoup de voyageurs” argue le patron de Midnight Trains qui mise sur des lignes très tournées vers le tourisme. “Un Paris-Venise constitue un marché potentiel de quatre millions de voyageurs et un Paris-Florence-Rome c’est trois millions” détaille-t-il. Un modèle qui n’est pas comparable à un Paris-Aurillac, avec des trajets plus domestiques, porté par une SNCF sous pression de l’État.
Je ne suis pas certain qu’il y ait un modèle économique viable et autonome sur les trains de nuit
“Je ne suis pas certain qu’il y ait un modèle économique viable et autonome sur les trains de nuit” alerte François Guénard. Cela implique un produit subventionné par la collectivité. “On repart quand même avec des règles différentes” tempère l’expert. Pour le Paris-Aurillac par exemple, l'objectif est de capter tous les trafics possibles. “C’est le modèle autrichien”, explique-t-il qui comporte beaucoup de classes différentes avec de capter le low-cost et le premium.
La règle d’or est simple selon François Guénard : “un train est un actif qui coûte très cher : lorsqu’on l'acquiert, il faut le faire rouler le plus possible et lorsqu’on le fait rouler, il faut le remplir”. Une équation qui peut être complexe pour les trains de nuit qui sont, par essence, immobilisés le jour et qui roulent donc moins que leurs homologues diurnes. Quant au remplissage, les prochaines années seront charnières.
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