Les guerres en Ukraine et au Proche-Orient remettent en question l’utilité du droit international. La Cour pénale internationale et la Cour internationale de justice se montrent plus actives que jamais sur ces dossiers, mais leur impuissance à court terme donne un sentiment d’échec vis-à-vis de la justice internationale. Pourtant, c’est peut-être dans ce chaos humanitaire et géopolitique que le droit international construit son avenir.
Depuis 17 mars 2023, le président russe Vladimir Poutine est sous le coup d’un mandat d’arrêt international de la Cour pénale internationale (CPI).
Les 123 États ayant ratifié le Statut de Rome de 1998 doivent donc, s’ils en ont la possibilité, arrêter le chef du Kremlin et l’extrader afin qu’il soit jugé par la CPI pour ses crimes commis en Ukraine. Dans les faits, si ce mandat d’arrêt a empêché le maître de Moscou de se rendre en Afrique du Sud pour le sommet des BRICS en juillet 2023, un procès à la CPI semble aussi proche que le règlement du conflit israélo-palestinien. Sous le coup de mandats d’arrêt internationaux de la CPI depuis 2009, l’ancien président soudanais Omar El Béchir n’a, lui, toujours pas été appréhendé.
Le 20 mai dernier, le procureur de cette même CPI, Karim Khan a demandé l’émission de mandats d’arrêt internationaux contre le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahu, son ministre de la Défense Yoav Gallant ainsi que trois responsables du Hamas. Durant la même séquence, la Cour internationale de justice a rendu une ordonnance intimant à Israël de mettre fin à son intervention militaire à Rafah. Une ordonnance contraignante juridiquement, mais qu’elle n’a aucun moyen de faire respecter. Une impuissance sur le court terme qui conduit inévitablement à des questions concernant le rôle et l'utilité de la justice internationale.
Pour rappel, nous parlons de deux cours de justice basées à la Haye aux Pays-Bas. La Cour internationale de justice, créée en 1945, est un organe de l’ONU qui gère les conflits entre les États. La Cour pénale internationale, créée en 1998 par le Statut de Rome, peut juger les individus, des hauts responsables ou des personnes accusés de crimes de guerre, crimes contre l’humanité qui échappent à la justice de leur pays.
La Cour pénale internationale va gagner en crédibilité et en impartialité
“Avant la Seconde Guerre mondiale, l’idée était qu’on jugeait uniquement les États, seuls responsables possible de faits illicites sur la scène internationale”, explique Mathilde Philip-Gay, professeure de droit à l'université Jean Moulin Lyon 3 et autrice de Peut-on juger Poutine (2023 - Ed Albin Michel). “À partir de la Seconde Guerre mondiale, l’idée est de juger les individus et Nuremberg est une étape déterminante dans cette idée-là. Simplement, Nuremberg est une justice des vainqueurs. La révolution, à partir des années 1990, c’est de dire que même le vaincu peut espérer que des crimes commis par le vainqueur puissent être punis.” C’est l’objectif de la mise en place de la Cour pénale internationale.
En matière de conflit, “le droit international définit les responsabilités juridiques des États dans leurs relations les uns avec les autres et les rapports que peuvent avoir ces États avec les individus qui vivent sur leur territoire” rappelle l’ONU sur son site. Il vise notamment à répondre aux crimes de guerre, aux crimes contre l'humanité et aux génocides. Aujourd’hui, en Ukraine, comme en Israël avec l’attaque du Hamas et comme à Gaza avec la riposte de Tsahal, ce droit international est bafoué. Est-ce pour autant un constat d’échec ?
“La Cour pénale internationale va gagner en crédibilité et en impartialité”, juge Olivier Corten, professeur de droit international à l’Université libre de Bruxelles en référence aux mandats d’arrêt requis par le procureur de la CPI contre Benyamin Netanyahu et des responsables du Hamas. “Cela fait depuis 2009 que la CPI a une base juridique pour se saisir du dossier palestinien et elle ne l’a pas fait”, ajoute-t-il. “Elle le fait aujourd’hui, mais pour beaucoup, cela intervient très tard. La CPI a beaucoup été accusée de ne jamais oser s’attaquer aux alliés des Occidentaux.”
Cette fois, les deux cours descendent de l’arène. Pour la première fois, elles le font alors que les conflits sont encore en cours. En guise d’arène, elles n’échappent pas à celle politique. En demandant des mandats d’arrêt alors que la riposte militaire à Gaza est encore en cours, le procureur de la CPI savait qu’il s’exposait à des pressions politiques et à des procès d’intention de tout côté. “C’est assez banal, il y a toujours un contexte politique et des acteurs politiques qui utilisent le droit”, affirme Olivier Corten.
Cela inquiète davantage Mathilde Philip-Gay. “La justice ne devrait pas intervenir pendant le conflit”, plaide-t-elle. “Ici, la justice est utilisée avant même un accord de paix comme si elle avait pour objectif d’interrompre la guerre. Or, ce n’est pas son rôle.” Si la juriste reconnaît que le droit international connaît un vrai moment charnière, ces dernières années, qui pourrait lui permettre de prendre son envol, elle craint qu’il puisse se décrédibiliser en manquant de clarté sur ces objectifs.
La question centrale est donc : que doit-on attendre du droit international en matière de conflit ? “D’abord, c’est un langage commun” répond Olivier Corten. “C’est ce qu’il reste lorsqu’on est plus du tout d’accord”, précise-t-il. “Le premier intérêt de la justice est d’assurer que le fait soit établi, qu’il ne soit jamais nié”, complète Mathilde Philip-Gay. “La boussole de la justice internationale doit être la victime”, rappelle-t-elle.
Le droit international a un rôle fondamental, mais ce n’est peut-être pas celui qu’on est en train de faussement lui attribuer pour des raisons politiques
Ensuite, le droit international doit jouer un rôle dans la construction de la paix. C’est pour cela que Mathilde Philip-Gay s’inquiète de le voir mis à contribution pendant les conflits. “Il faut comprendre comment se fait la paix”, assure la juriste. “Il y a trois phases lorsqu’un conflit se termine : l’accord de paix, le maintien de la paix, avec une force armée ou une organisation internationale, et la construction durable de la paix”, détaille-t-elle. C’est lors de cette troisième étape que la justice internationale devrait intervenir selon elle. “Elle intervient pour établir les faits, commencer à construire la mémoire du conflit et la manière dont il sera transmis et digéré par les sociétés” , explique-t-elle.
“Dans le cas de l’Ukraine et du Proche-Orient, le droit international est un cadre qui va être utilisé pour aboutir à une solution politique”, abonde Olivier Corten. “Le droit international donne un certain nombre de balises, car malgré des négociations de paix, l’idée est de dire qu’il y a des acquis en matière de droit international qui ne sont pas négociables”, développe-t-il. Dans le cas d’Israël et la Palestine, cette balise juridique grave dans le droit la solution à deux États, tout comme le droit des deux entités à leur sécurité.
La justice internationale peut aussi avoir une mission de dissuasion. “Il s’agit de dissuader les acteurs de terrain de commettre de nouveaux crimes puisqu’ils savent très bien que la situation est sous enquête”, soutient Olivier Corten. “C’est comme cela qu’on peut comprendre que l’activité de la Cour pénale internationale commence alors même que le conflit est encore en cours”, étaye-t-il. “Cela peut entrer en ligne de compte dans la prévention des conflits de demain”, confirme Mathilde Philip-Gay.
“Le droit international a un rôle fondamental, mais ce n’est peut-être pas celui qu’on est en train de faussement lui attribuer pour des raisons politiques”, martèle la chercheuse. Dans ce cadre, l’exemple de l’ordonnance de la Cour internationale de justice est éloquent. Cette dernière a ordonné à Israël de cesser son offensive sur Rafah. Elle n’a aucun moyen de faire respecter son ordonnance et cet état de fait passe pour un aveu de faiblesse. L’ordonnance est, en effet, violée par Israël. Néanmoins, s’en tenir à cette conclusion, “c’est ne pas comprendre ce que veut dire la CIJ” selon Mathilde Philip-Gay.
Nous sommes à la préhistoire du droit international pénal
“La Cour a la volonté de se prononcer sur la présence ou non d’un génocide à Gaza, car c’est pour cela qu’elle a été saisie par l’Afrique du Sud. Pour cela, elle fait toujours la même chose, elle prononce des mesures provisoires et elle demande que les États n'aggravent pas la situation le temps qu’elle se prononce. Or, elle va mettre plusieurs années à se prononcer. Donc il ne faut pas tirer de conclusions hâtives sur ce que dit la CIJ.” Aujourd’hui, le droit international est frustrant, car il n’empêche pas les guerres, ni les victimes aux quatre coins du monde. “Nous sommes à la préhistoire du droit international pénal, mais nous sommes à une nouvelle phase de l’histoire du monde”, conclut Mathilde Philip-Gay.
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