Il y a un an, le 24 février 2022, Vladimir Poutine déclenchait une invasion de l’Ukraine. Une “opération spéciale” selon le maître du Kremlin qui a débouché sur une guerre qui dure et qui a mis près de huit millions de personnes sur les routes européennes selon le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés. Parmi eux, 4 millions ont rejoint un pays de l'Union européenne intégrant ainsi le mécanisme de protection temporaire mis en place par l'UE dès le début de l'invasion. La France en accueille 134 000 sur son sol. Et face à un conflit qui s’inscrit dans le temps long, les exilés doivent maintenant reconstruire leurs perspectives. Cela implique : le français, un logement ou encore du travail.
“Je suis opérationnelle et je connais très bien mon travail, il n’y a que la langue” qui freine regrette Tétiana. Cette Ukrainienne est venue en France après le début de la guerre. Parlant ukrainien, russe et bulgare elle a travaillé dans le secteur de l'hôtellerie dans toute la région. Un an après le début de l’invasion déclenchée par Vladimir Poutine, elle est accompagnée à Lyon par l’association Forum Réfugiés pour mettre en forme son CV afin de retrouver un emploi. Même chose pour sa fille Élysabetha qui était traductrice d’anglais et de polonais lorsqu'elle habitait Poltava dans la région de Kharkiv. “J’ai décidé d'émigrer suite à une attaque de missile à environ un kilomètre de mon appartement” raconte–t-elle. “Si je veux continuer à faire mon métier ici, je dois apprendre à parler français” explique la jeune femme qui prend des cours dispensés par Pôle Emploi, mais également d’autres délivrés par des Ukrainiens francophones.
C’est justement ce que fait bénévolement Nadia au sein de l’association Lyon-Ukraine. “J’ai fui la guerre avec une partie de ma famille, mais il me reste des proches en Ukraine, notamment mon fils qui se bat” témoigne-t-elle dans un français presque parfait. Dans sa ville de Rivne, à mi-chemin entre Lviv et Kiev, elle est responsable de l’Alliance française. “Sans le français, c’est impossible de s’intégrer ou de trouver du travail” assure celle qui donne maintenant des cours à des adolescents ukrainiens qui viennent apprendre en parallèle de leur scolarisation classique en France.
Sur ces neuf derniers mois, beaucoup de personnes ne se projetaient pas en France
Au programme du jour : la création d’une carte mentale pour se présenter correctement en français. Mais avant, le traditionnel chocolat est gagné lors d’une vente aux enchères fictives qui se déroule entièrement en français. “Maintenant, je pense avoir entre un niveau A1 et A2” avance Allen qui vient de la région de Louhansk dans le Donbass. “Je comprends lorsqu’on me parle, mais cela reste compliqué de répondre” avance-t-il. “Il manque les toutes petites bases” explique leur professeure du jour. “Imaginez-vous être intégré dans une classe au milieu d’adolescents ukrainiens, vous allez vous construire en piochant des mots, des constructions toutes faites mais les bases vont quand même vous manquer. Il y a des enfants qui se retrouvent dans des classes au milieu des enfants français et cela demande énormément d’effort”. “Pendant plusieurs mois, il y a eu des classes spécialisées permettant de suivre un double cursus afin de continuer de suivre à distance leur scolarisation en Ukraine” rappelle Juliette Scarano cheffe de mission du pôle Urgence Ukraine de l’association Forum Réfugiés.
“Je sais que je dois faire correctement mes études en France et que je dois apprendre le français et l’anglais ici… Mais toutes mes pensées vont vers l’Ukraine” relate un autre lycéen ukrainien Eugène. “Les jeunes sont le futur de l’Ukraine donc au mieux ils connaissent la vie en France, au mieux ils pourront porter la voix de notre pays” projette Nadia.
“Le plus compliqué, c’est de vivre en sachant que je suis obligé de rester dans ce pays, de me développer ici, de faire mon parcours ici, tout ayant dans l’idée de rentrer un jour en Ukraine. Elle est à jamais dans mon cœur” s'émeut Eugène. Un déchirement qu’on retrouve dans la plupart des témoignages. Entre préparatifs du retour et reconstruction en France, les jambes dans l’hexagone, mais la tête en Ukraine, ce tiraillement se retroue souvent. “Sur ces neuf derniers mois, beaucoup de personnes ne se projetaient pas en France” confirme Juliette Scarano. “En fait, il y a plusieurs profils. Ceux qui dès le début ont voulu s’intégrer et qui aujourd’hui sont beaucoup plus avancés avec un appartement autonome dans le parc privé et parfois même un CDI. Et puis il y a des personnes qui étaient dans l’attente de la fin du conflit et cherchaient des solutions provisoires sans parvenir à se projeter.”
Pour se projeter il faudrait déjà savoir si les maisons et les appartements sont encore là
“C’est impossible de faire des projets… Même sur une semaine” abonde Olga, originaire de la région de Donetsk dans le Donbass qui s’est réfugiée avec sa famille, chez sa sœur Katia dans la banlieue de Lyon. “La région est toujours sous les bombardements… Pour se projeter, il faudrait déjà savoir si les maisons, les appartements seront là” commente Katia. “Ce sont des personnes qui au début ne s'imaginaient pas rester. L’enjeu était simplement de se mettre à l’abri. C’est seulement en train de changer aujourd’hui” explique Matthieu Tardis, responsable du Centre migrations et citoyenneté de l’Institut français des relations internationales (IFRI). “Il faut être patient, on ne peut pas demander à ces personnes d’être tout de suite au travail et de parler directement le français” selon le chercheur. “Cela vaut d’ailleurs pour les Ukrainiens et mais également pour tous les réfugiés” ajoute le chercheur.
Enfin, cet exil dans la durée pose la question des mécanismes d’accueil. Dans l'Union européenne, les déplacés ukrainiens bénéficient du fameux mécanisme de protection temporaire mis en place dès le début de l’invasion. Il concerne environ 4 millions de réfugiés à ce jour. Ce statut spécial permet d'avoir une autorisation de séjour sans passer par la demande d'asile, de scolariser les enfants, d'avoir accès à une protection maladie ou encore de travailler. Il est toujours en vigueur et devrait être renouvelé. “Cela pose quand même la question de l’insertion” pointe Matthieu Tardis.
Il faut commencer à penser le transfert de la protection temporaire vers un type de titre de séjour
“Il faut parvenir à passer d’une situation d’urgence et un dispositif de moyen terme. Je pense qu’il y a eu une mauvaise analyse au début de penser que ce serait très temporaire. On a voulu différencier les Ukrainiens des autres réfugiés, non-européen notamment, pour pointer qu’eux n’allaient pas rester. Mais malheureusement, les conflits durent. Il faut commencer à penser, notamment d’un point de vue juridique, le transfert de la protection temporaire vers un type de titre de séjour, éventuellement une carte de résident où vers l’asile. Il faut également repenser l’accompagnement vers l’emploi, le logement et l'intégration sociale au sens large” conclut Matthieu Tardis.
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