C'était la première fois que le Grand Rabbin venait à Bourges. Haïm Korsia a donné une conférence mercredi soir sur l'invitation de Mgr Beau, l'archevêque de Bourges. "Être juif en France aujourd'hui", c'était le sujet de cette prise de parole à deux voix.
Plus tôt dans la journée, le Grand Rabbin a rendu hommage aux victimes du massacre des puits de Guerry en 1944, une histoire méconnue durant laquelle des nazis ont tués 36 juifs en les jetant dans des puits.
_C'est la première fois que vous venez à Bourges, pourquoi avoir accepté l'invitation de Mgr Beau ? Quelle est votre démarche ?
_C’est un ami et un Archevêque exceptionnel, j’étais heureux de répondre à son invitation et d’aller sur le lieu du martyre des victimes de Guerry, un évènement hors normes, un lieu que je souhaitais visiter depuis longtemps. J’ai été bouleversé et ému de l’accueil reçu, il y avait là de nombreux jeunes, les corps constitués, des maires, enfin toute une mobilisation pour transmettre la mémoire de l’impossible et qui pourtant représente un danger permanent. Comment des hommes ont pu aller chercher les victimes pour les exécuter là ? A Paris nous récupérons les plaques du souvenir apposées sur des maisons en destruction et nous allons en faire un mur qui sera exposé sur une place publique. Le danger nous menace toujours, il faut transmettre et manifester la nécessité d’un engagement et d’une mobilisation des « forces d’amour » les uns vers les autres. Je suis ravi d’être à Bourges, vivre à Paris fausse un peu la vision du monde.
_Vous donnez une conférence sur la place des juifs en France aujourd'hui, est-ce que vous ressentez des tensions à l'approche des élections présidentielles ?
_« Les évènements politiques sont toujours des moments de fragilité », affirme le Grand Rabbin qui donne pour exemple
les agissements de Édouard Drumont (auteur de « La France Juive » best-seller de la fin du XIXème) qui en publiant un manifeste antisémite en 1886, dans un contexte très agité de conflits, de scandales et de tensions sociales, a provoqué des conflits très violents et favorisé plus tard l’influence de l'antisémite Charles Maurras. De ce fait, pour le Grand Rabbin le danger demeure aujourd’hui. Il cite en conclusion la déclaration de Jacques Chirac en 1995, lorsque l'ancien Président de la République a reconnu la responsabilité de la France dans la rafle du Vel d’hiv.
_Vous avez une émission le dimanche matin sur la chaîne France 2 : « A l’Origine », vous proposez aussi des cours de théologie sur le net, envisageriez vous des formations communes pour les deux communautés, chrétienne et juive ?
_Pourquoi pas, je voyage beaucoup pour faire des conférences. Antérieurement j’allais au grand séminaire catholique, je faisais un cours d’une heure et demie, je déjeunais avec les séminaristes et je faisais une partie de foot avec eux ensuite.
Il n’y a pas de front des religions et depuis ces dernières décennies les rapports ont changé entre judaïsme et catholicisme. Le Concile Vatican II a fait bouger les choses reconnaissant qu’ « en scrutant le mystère de l’Église, on remonte aux Patriarches ». Jean Paul II a parlé de nos frères aînés dans la foi, déclaration décisive de reconnaissance.
Nous avons beaucoup d’obligations en commun affirme Haïm Korsia, notamment : "l’obligation d’accueil des migrants, bien sûr je n’en ignore pas les difficultés et il est vrai qu’on ne peut accueillir toute la misère du monde mais la prescription de la Loi est forte : « tu aimeras l’étranger »".
Le Grand Rabbin évoque aussi le devoir de protéger la Terre. Il poursuit en affirmant que "sur un certain nombre de points nous avons 3 500 ans d’avance" et de citer l’alliance conclue avec Noë. Il faut comprendre cela comme un parallèle entre Laudato Si (encyclique du Pape François) paru quelques semaines avant la Cop 21.
Comment interpréter les relations avec le Vatican et son sous-dicastère chargé des relations avec le judaïsme, alors qu’un seul dicastère existe pour les relations avec toutes les autres religions ? Serait-il la préfiguration d’un rêve de convertir tous les juifs au catholicisme ou inversement ? C’est quelque chose que réfute l'archevêque Jérôme Beau en excluant l’existence d’une « théologie de la substitution ».
Ainsi, tous les deux sont d'accord pour rappeler que la Première Alliance et non l’Ancien Testament (qui suppose sa clôture puisque l’on parle d’un « Nouveau »), sera toujours valide et ne peut être remise en cause : l’Église catholique ne peut tenir que si les juifs continuent de témoigner de l’existence de la Première Alliance.
Les préjugés demeurent, alors le Grand Rabbin insiste :
"c’est de notre responsabilité à chacun, ils ont la vie dure, il faut avoir le courage de les nommer, par exemple le terme de « pharisien » dans le langage courant et bien d’autres".
L'archevêque de Bourges rappelle qu’il existe une conférence épiscopale de relecture des catéchismes pour les expurger de ce qu’ils peuvent véhiculer comme ferments de division entre chrétiens et juifs. Certains éditeurs passent outre l’imprimatur de la commission et même en Berry certains de ces catéchismes sont en usage.
Le père Beau souligne, les termes seront repris par les deux conférenciers, que l’altérité n’est pas un obstacle à l’unité. Les pulsions d’identité qui caractérisent le fascisme constituent toujours des obstacles à cette unité. Ces ferments de haine provoquent la peur qui détient en germe la violence.
Alors le Grand Rabbin raconte cette histoire exemplaire d’un citoyen allemand avouant que lorsqu’on a arrêté les gitans il n’a pas bougé, il n’en faisait pas partie. Puis les nazis ont emprisonné les communistes, ce n’était pas son affaire il n’était pas communiste, pas davantage au moment des juifs, il n’était pas juif non plus. Puis un jour on est venu l’arrêter, il s’est aperçu qu’il n‘y avait plus personne.
Le Grand Rabbin affirme avec force que la laïcité est un principe « génialissime » et à l’appui de cette déclaration, l’affirmation qu’il n’y a aucune religion qui aurait envie de s’y opposer. La laïcité les protège toutes en leur donnant le droit d’exister.
L’offre faite à la salle de poser des questions donnera l’occasion à l’un des présents de demander : si toutes les religions se valent, est-ce si important de croire à l’une plus qu’à une autre ? La réponse est claire : la foi est un engagement, croire n’est pas un marché aux options philosophiques permettant de picorer ce qui nous plaît, dans le panier de l’une ou de l’autre. Croire, avoir la foi, c’est d’abord un engagement sans lequel il y a perte totale de sens.
Dans les brèves conclusions et remerciements soulignant qu’une telle visite et prise de parole d’un Grand Rabbin ne s’étaient jamais produites à Bourges, le mot a été glissé de rencontre historique. C’est clairement le sentiment général car au-delà des apparences, des échanges et des déclarations, il y avait de perceptible quelque chose qui ne se nomme pas mais qui est de l’amitié sans en prononcer le mot. L’important était de voir et d’entendre un Archevêque et un Grand Rabbin parler de théologie et d’engagements communs, dans un respect total d’altérité mais en pleine unité de vue, en présence d’une assemblée qui participait ostensiblement de ces sentiments.
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