L'association strasbourgeoise Younited a publié fin mars une enquête inédite sur la solitude des étudiants : 65% des personnes interrogées sur le campus de l'université de Strasbourg éprouvent des difficultés à créer du lien social. En témoin privilégié du phénomène, Nicolas Franke l'analyse et appelle à une libération de la parole.
RCF Alsace : Avec Younited, vous avez réalisé en mars une étude révélant l'amplitude de la solitude étudiante sur le campus de l'université de Strasbourg. Pourquoi ?
Nicolas Franke : La solitude est un sujet qui touche beaucoup d'étudiants aujourd'hui, mais paradoxalement, il est assez mal étudié et souvent incompris. Cela nous tenait à cœur non seulement de comprendre les causes et les conséquences de la solitude, mais aussi des manières d'en sortir. Nous voulions montrer que ce n'est pas une fatalité. En même temps, il s'agit d'un sujet tabou pour trois sur quatre personnes en France. Nous voulions briser le silence autour de ce sujet et permettre à des étudiants de s'exprimer. A ma connaissance, c'est la première fois qu'il y a une enquête sur la solitude spécifiquement.
RCF Alsace : Crée en décembre 2023, vous êtes une association toute jeune. Quelle méthode avez-vous choisi pour réaliser l'enquête ?
N.F.: On a lancé un sondage via les mailings étudiants de l'Université. Nous avons demandé aux étudiants de témoigner anonymement. Seulement 51 personnes ont accepté de répondre, sur un campus qui en compte plus de 54 000. Il s'agit donc d'une étude qualitative.
RCF Alsace : Quels constats faites-vous ?
N.F : Nous avons relevé deux causes principales de la solitude. La première concerne les difficultés relationnelles : se sentir différent des autres étudiants au point d'être incapable de créer du lien avec ses camarades de classe. C'est le cas pour 30 % des étudiants à l'Université. Ensuite, pour 20 %, la solitude est liée à des changements de vie ou des chocs de vie : devoir vivre seul dans un appartement, être indépendant ou vivre une rupture avec son copain ou sa copine, avoir des problèmes familiaux, des décès, etc. La plus grande conséquence de ces situations d'isolement est la souffrance du manque des liens de l'ordre de la camaraderie, d'amitié très forte ou même familiale.
Nous voulions briser le silence autour de ce sujet et permettre à des étudiants de s'exprimer.
RCF Alsace : Fait intéressant, l'étude montre que ce phénomène ne concerne pas seulement la première année d'étude mais peut s'échelonner longtemps.
N.F.: Pour certains, elle peut durer plus de dix ans. Certains ont même déjà vécu la solitude au lycée, au collège, en primaire, voire même en maternelle. C'était le cas de 35 % qui ont vécu la solitude gardé ce sentiment avant leurs études. 65 % l'ont découvert au début de leurs études.
RCF Alsace: Comment y remédier ?
N.F.: Malheureusement, il n'y a pas une solution miracle. Tout le monde a essayé de sociabiliser, de sortir, de participer à des événements, de rejoindre des associations étudiantes. Mais dans l'enquête, on a vu que c'était la méthode avec le plus de résultats mitigés qui a fonctionné dans moins de 50 % des cas. En revanche, ce qu'on a pu observer, c'est tout ce qu'on peut faire pour soi marche le mieux : apprendre, prendre du temps pour soi, accepter sa solitude, sortir du déni, faire des activités seul. Faire un travail sur soi d'abord pour ensuite pouvoir dans un deuxième temps s'ouvrir aux autres, aller vers les autres, sociabiliser.
RCF Alsace : C'est ce que vous faites à Younited ? Quelle est votre particularité par rapport à d'autres associations étudiantes qui proposent des activités ?
N.F. : Comme les autres associations, nous proposons toutes les semaines des sorties, des événements sur notre compte Instagram. Seulement, à chaque sortie, nous organisons des groupes les plus petits possibles pour rassurer les étudiants ayant des difficultés à créer du lien et leur permettre de sociabiliser. Dans chaque groupe, il y a une "personne ressource", c'est-à-dire un étudiant bénévole formé et de confiance qui va aider les étudiants, qu'ils soient timides ou non, qu'ils soient internationaux ou non, à s'intégrer dans le groupe. Aussi, s'ils ont besoin de se confier, la personne va être là pour les écouter. Elle peut même orienter l'étudiant vers des professionnels compétents (santé, écoute, autre), s'il y a un besoin particulier, pour sortir de la solitude. Nous essayons de faire des passerelles entre toutes les solutions existantes pour aider l'étudiant à trouver la meilleure combinaison et l'aider à sortir de la solitude.
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