Face à la mort d'un proche, après une agression ou même devant les effets du changement climatique, parfois c'est trop dur d'admettre la réalité. Il arrive que l'on se sente paralysé alors qu'il faudrait agir... Des mécanismes d'aveuglement et de déni se mettent en place face. Comment sortir de cette politique de l'autruche ? Réponses de Serge Tisseron, psychiatre et psychanalyste.
Le déni, c’est un "mensonge qu’on se fait à soi-même" et qui consiste à ne pas accepter la réalité. Comment se met-il en place ? Comment en sortir ? Dans une société de consommation, où les réseaux sociaux nous confortent dans notre réalité, il peut être difficile de sortir du déni.
Le plus souvent, c'est la mort d'un proche qui provoque des mécanismes de déni. Et, "notre société fait tout pour nous faire oublier la mort", déplore Serge Tisseron. Ainsi, l'abondance des biens de consommation permet de fuir notre finitude. C'est aussi, estime le psychiatre, ce qui se joue dans les discours des transhumanistes. Pourtant, chacun est confronté à la mort de ses proches avant d’affronter la sienne. Il s’agit, encore, d’un processus progressif : accepter la mort d'un autre aide à penser à sa propre fin. Mais l’être humain est toujours menacé par des biais cognitifs : "On a une tendance naturelle à chercher des affirmations qui confirment nos aprioris."
Contrer ses propres croyances et se confronter à des opinions différentes demande des efforts. Dans son livre, "Le déni ou la fabrique de l’aveuglement" (éd. Albin Michel, 2022), Serge Tisseron montre que la pandémie de Covid a provoqué un déni à grande échelle. Un "syndrome de l’autruche" où beaucoup ne voulaient pas voir ni la gravité de la pandémie, ni l’utilité de la vaccination. Mais selon lui il y a eu aussi "déni d’humanité à l’égard des personnes âgées interdites de visite dans les Ehpad"…
À l'heure des réseaux sociaux, le déni est alimenté par les théories du complot qui circulent sur internet. Le psychiatre estime même que le déni est devenu une réalité concrète et répandue. Est-ce parce que l'on ne dialogue plus comme avant ? "Avant, il était commun de discuter avec ses proches de sujets de discorde." Aujourd’hui, il est plus confortable de trouver sur les réseaux sociaux des personnes "qui pensent comme nous et qui partagent nos dénis". L'algorithme montre à l’utilisateur un contenu qui lui plaît, en accord avec ce qu’il pense, qui n’est pas disruptif. Il est donc facile et confortable de cultiver son déni "depuis son canapé".
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"Quand on reçoit une information que l’on ne veut pas accepter, on tend à réagir d’abord avec ironie." Pour Serge Tisseron, il faut prendre le temps de se familiariser avec cet "évènement qui nous bouscule". Avec le temps, il devient une réalité concrète et finit par être accepté. Le psychiatre insiste sur le caractère progressif de ce processus. Ceux qui refusent de s'y plier "s’enkystent dans le déni". En fait, le déni semble être lié au refoulement : "il a à voir avec le clivage".
Pour veiller à ce que ces mécanismes de déni ne s’installent pas, il faut, préconise Serge Tisseron, renoncer à des choses auxquelles on a cru jusque-là. Le psychiatre insiste sur l’importance du collectif et de la socialisation. Il faut oser se "confronter à des approches différentes" même si elles "nous paraissent très critiquables". En plus d’endiguer le déni, cela de développer l'esprit critique, de "reconnaître la menace pour mieux la combattre".
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