A l'âge de 71 ans, Christian Bobin est décédé, parti vers un ailleurs. Lui qui s'émerveillait d'une goutte d'eau et d'un insecte vibrionnant laisse une soixantaine de livres ciselés, à lire et relire. Chronique
Il y a moins d’une semaine, on apprenait le décès de Christian Bobin, à l’âge de 71 ans, lui qui n’a cessé de célébrer la vie par ses livres, sa poésie mais aussi sa parole inquiète et ses éclats de rire. Christian Bobin, c’est un homme pétri d’humanité et de douceur, qui se penchait insensiblement vers vous pour se mettre à l’écoute, tout comme il explorait l’univers d’une goutte d’eau. Il avait ce regard bienveillant sur la moindre parcelle du vivant, non pas comme un scientifique mais à la manière d’un enfant émerveillé, qui fait un moulin avec trois brindilles : « La poésie est don de lire la vie. Est poétique toute concentration soudaine du regard sur un détail. » Dans sa maison de mots, au milieu des bois non loin du Creusot, il se mettait à sa table d’écriture. Avec son feutre épais, il noircissait des feuilles blanches comme neige. Lorsque je lui rendais visite, à peine descendu du TGV, j’aspirais à un entretien dense qui allait remplir les colonnes de mon journal. Lui proposait de commencer par un petit tour dans la forêt, à l’écoute des oiseaux et du chant des arbres.
Un vrai poète, émerveillé, au plus près de la nature…
Mais pas seulement : il y avait chez Christian Bobin une infinie délicatesse dans les relations humaines : « Un ami c’est quelqu’un à qui on fait le cadeau de l’étonner », écrit-il encore dans ce dernier petit livre Le Muguet rouge. Avec beaucoup de poésie, il porte aussi des paroles vives qui secouent nos laisser-aller, nous renoncements : « Ce ne sont pas seulement les banquises qui s’effondrent, c’est notre cœur. La musique nous ranime, frotte nos joues avec la paille de l’air. » L’écriture est sa vocation, l’écritoire le tabernacle de ses éclats de verbe, pour celui qui y consacra son existence : « Ce n’est pas compliqué d’écrire : il suffit d’y donner chaque seconde de sa vie. » Au fil des pages, il évoque ses amis éternels, François d’Assise à qui il a consacré son très beau livre Le Très-Bas, et encore le peintre Pierre Soulage, le pianiste Glenn Gould, l’écrivain André Dhôtel, d’autres encore, et ses parents : « Ma mère était un mégalithe. Sa chair était du granit, son âme une toute petite bulle d’air à l’intérieur. » Des amis par centaines que sont aussi les lecteurs.
Qui ont appris sa mort avec émotion…
La mort par surprise, alors même que Christian Bobin savait parler de cette énigme avec des mots clairs : « La mort c’est un parfum, le bruit d’une porte qui claque, un verre qui se brise. » Et encore : « La mort a beaucoup de vertus, notamment celle du réveil. Elle nous ramène à l'essentiel, vers ce à quoi nous tenons vraiment. » Dans un autre livre, il confiait ce qu’il croyait, ce qu’il espérait, ce que savait le poète : « la vie éternelle est la vie ordinaire délivrée de nos ensommeillements ». D’un trait, il ouvre l’horizon : « Chaque jour, j’attends tout ». Il distillait ces paroles simples, parfois énigmatiques, qui bouleversent sans qu’on puisse expliquer pourquoi : « Il faut tordre le cou à la volaille des explications », écrit-il, avec cette invitation à la patience : « Il faut longtemps moudre les mots et mourir en silence pour faire cuire le pain du ciel. » Il y faut de la patience, et ce talent à nul autre pareil : « Combien de mois, combien de vies faut-il pour écrire une phrase qui égale en puissance la beauté des choses ? » Vous y êtes parvenu plus d’une fois, cher Christian Bobin. Comment vous remercier ?
Le muguet rouge, de Christian Bobin, est paru chez Gallimard, tout comme les œuvres choisies sous le titre « Les différentes régions du ciel » dans la collection Quarto.
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