C'est quoi la France ? La fille aînée de l’Église ou la patrie des droits de l’homme ? Jeanne d’Arc, Victor Hugo ou le général de Gaulle ? L'identité est une notion complexe et paradoxale. Alors qu'elle ressurgit en pleine campagne électorale, beaucoup partagent l'idée d'une identité française menacée. Et qui, à l'heure de la mondialisation, devrait rester homogène pour ne pas perdre son âme...
À moins de 90 jours du premier tour, RCF vous propose une série d’émissions spéciales pour décrypter des thèmes essentiels de la campagne avec des acteurs de terrain. L’objectif : aider chaque citoyen à discerner avant son vote.
Qu'est-ce que l'identité française ? En cette période de campagne électorale, la question ressurgit au détour de certains programmes. Existe-t-il en soi une identité française ou est-ce une construction purement intellectuelle ? Si oui, de quoi est-elle faite ? Est-elle menacée et contre quoi ?
Stéphanie Gallet et Melchior Gormand animent le débat avec : Rachid Benzine, islamologue, politologue, enseignant, romancier, dramaturge, membre du comité scientifique Portraits de France et auteur de plusieurs ouvrages, dont "Le Coran expliqué aux jeunes" (éd. Seuil, 2013), "Voyage au bout de l’enfance" (2022) et "L’identité heureuse" (à paraître) ; Michel Wieviorka, sociologue, directeur d’études à l’École des hautes Études en sciences sociales (Ehess), auteur de "Métamorphose ou déchéance. Où va la France ?" (éd. rue de Seine, 2021) ; Sylvain Venayre, historien, professeur d'histoire contemporaine à l'université Grenoble-Alpes, directeur de la collection "Histoire dessinée de la France" aux éditions La Découverte, co-auteur de "La Balade nationale" (2017), auteur du livre "Les Origines de la France - Quand les historiens racontaient la nation" (éd. Seuil, 2013).
C'est quoi la France ? La fille aînée de l’Église ou la patrie des droits de l’homme ? La tour Eiffel ou Notre-Dame de Paris ? Jeanne d’Arc, Victor Hugo ou le général de Gaulle ? Aujourd’hui, il y a comme "une guerre des récits", décrit Rachid Benzine. Sur les réseaux sociaux, il se peut que des images de fromages, vin rouge et saucisson prennent une tournure politique.
Pour autant, on a beau adopter un récit, pas sûr qu’il soit compris dans toute sa complexité. Ainsi, l’acte de vandalisme du 5 février dernier de la statue d’Abdelkader à Amboise montre par exemple que tout le récit autour de la puissance coloniale de la France est mal compris. En effet, l’émir Abdelkader a été tantôt une figure de la résistance contre la colonisation française de l’Algérie, tantôt vu comme un héros qui a protégé les chrétiens de Syrie autour de 1860. Abdelkader, c’est l’image même d’une "mémoire complexe, partagée". "Je suppose que le vandale n’a aucune connaissance de l’histoire d’Abdelkader", conclut Sylvain Venayre.
Il y a une espèce de crispation au sein de la société française dans la manière dont elle se définit
"L’identité est un mot très paradoxal, souligne Michel Wieviorka, un mot qui a deux faces." Il y a une vision "ouverte et positive" et une vision "négative et défensive". Il existe donc en creux au cœur que chaque identité, une tension entre ces dimensions d’ouverture et de fermeture. Pour le sociologue, l’identité française a, elle aussi, "deux faces" : celle, "positive", d’une "nation universelle, qui s’adresse au monde entier" et qui porte "le message de la déclaration des droits de l’homme". Et celle "menacée, qui doit être homogène culturellement pouvoir avoir plus de force et ne pas perdre son âme".
La vision qui semble l’emporter aujourd’hui est, selon Michel Wieviorka, la "conception inquiète" et "le sentiment d’une menace dont on ne sait pas toujours si elle vient de l’extérieur ou si elle intérieure, par qui elle est incarnée ou par quoi elle est incarnée". "Il y a une espèce de crispation au sein de la société française dans la manière dont elle se définit", abonde Rachid Benzine. Une identité qui se construit "contre" - "contre l’islam, les musulmans et un certain nombre de choses…" Avec l'idée d'une "espèce d’identité éternelle qui n’a jamais fondamentalement existé".
La France se voit comme un tableau de Renoir alors qu’elle a la gueule d’un Picasso ! Entre ce que nous sommes réellement et la représentation de ce que nous sommes, il y a un gap
Depuis quand se pose-t-on la question de l’identité française ? L’historien Sylvain Venayre rappelle que c’est après la Révolution française, quand on s’est demandé qui était ce peuple français censé avoir pris le pouvoir. Plus tard, lorsque, dans les années 1980, 1990, la question s’est posée à nouveau, c’était sur un autre mode. On s’est alors demandé, "de façon beaucoup plus défensive : qui est ce peuple qui pourrait disparaître ?"
Cette inquiétude, Rachid Benzine l’observe comme "une panne d’imagination", doublée d’une difficulté à "faire le deuil de l’Empire". Avec la mondialisation, et "étant donné que nous avons du mal avec la diversité française, on cherche à avoir cette espèce d’homogénéisation". "La France se voit comme un tableau de Renoir alors qu’elle a la gueule d’un Picasso ! Entre ce que nous sommes réellement, sociologiquement, politiquement, anthropologiquement et la représentation de ce que nous avons, de ce que nous sommes, il y a un gap."
Suivez l’actualité nationale et régionale chaque jour
RCF est une radio associative et professionnelle.
Pour préserver la qualité de ses programmes et son indépendance, RCF compte sur la mobilisation de tous ses auditeurs. Vous aussi participez à son financement !