J’aurais pu ajouter mon grain de sel au débat sur le confinnement, mais je préfère vous emmener en balade, à moins d’un kilomètre de chez moi, dans la garrigue où j’habite une ancienne bergerie isolée au bout d’une piste en terre où ne passe jamais personne.
L’automne est ma saison préférée, il ne fait pas trop chaud et l’enfant d’aquarelliste que je suis a l’impression que c’est à cette saison que les couleurs ont été inventées. Il suffit d’un rayon du soleil doux de novembre pour que chaque arbuste ose affirmer son existence en tutoyant le bleu du ciel.
L’érable de Montpellier est le seigneur de la garrigue en automne. Il confisque mon regard tant le cuivre de ses feuilles éclaire le paysage. Je dois faire un effort pour m’en détourner et saluer les fresnes au feuillage léger dont l’or se détache à chaque baiser du vent dans leurs branches. À leur pied, le temps d’un instant éphémère je suis le plus riche des hommes sous cette pluie d’écus.
Sur le bord du chemin, j’ai une tendresse particulière pour les fusains rosés qui ressemblent aux clochettes liturgiques qui invitent à baisser le regard. Les fusains acceptent que je les fixe sans rougir davantage.
C’est alors que, sans y prendre garde, j’accroche mon bras aux épines du cynorhodon. Là où il y a le plus d’épines fleurissent les plus belles roses nous dit le proverbe.
Je cueille la perle orange de l’églantier et l’ouvre entre mes doigts pour en manger la pulpe pleine de vitamines sans avaler les minuscules poils du petit fruit qui lui valent l’appellation méritée de gratte-cul.
Mais de tous les arbres de la garrigue, mon préféré est l’arbousier au feuillage persistant vernis de vert. À cette saison, il offre ses fruits rouges qui ressemblent à de petites boules de Noël. L’insolent vole la primeur au sapin qui n’arrivera que plus tard et n’a pas la délicatesse de l’arbousier. Cueillir l’arbouse et la porter à ma bouche me rappelle celle qui guida mes premiers pas dans la garrigue provençale. Alors que la Toussaint a fleuri les cimetières, quand je goute à l’arbouse je partage avec elle un peu de ces petits trésors terrestres dont je ne sais si elle les trouve aussi au paradis.
Pour peu que je quitte un peu le sentier, je bouscule les touffes de thym qui sont foison au point que j’en oublie de m’excuser auprès de chacune d’elles. Et puis l’automne c’est le moment où les oiseaux, silencieux durant l’été, reprennent leurs chorales matin et soir. Les merles, les geais au plumage digne d’un nobliau de la cour et les tourterelles au roucoulement incessant n’ont jamais quitté les lieux.
Mais je revois aussi la mésange et le rouge-gorge, le pinson et les rouge-queue noirs. Chacun d’eux signe d’une calligraphie mystérieuse la page vierge du ciel et m’invite à parler plus bas. J’ai toujours pensé que lorsque les anges voulaient faire passer discrètement un message aux hommes, ils se déguisaient en oiseaux. C’est bien plus discret un oiseau qui se pose sur le rebord d’une fenêtre qu’un ange non ?
Ce petit tour je le fais chaque jour. Et parfois, la nuit, au plus noir de la nuit, je sors regarder les étoiles. Alors je suis émerveillé et j’ai le sentiment que ma prière rejoint plus facilement le ciel. Le paysage de la garrigue change à tout moment et, si vous en êtes d’accord, dorénavant, quand je marcherai sur ce sentier, j’essayerai de porter un peu avec moi, en pensée tout au moins, ceux qui ce matin nous écoutent.
Chaque jeudi, à 7h20 dans la matinale, la chronique de Julien Dezécot, Directeur de publication, cofondateur du Magazine Sans transition, et de Lucile Schmid, essayiste, ancienne conseillère régionale d'Île-de-France et co-fondatrice de La fabrique écologique.
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