Victime d'abus sexuels au sein de sa propre famille, Grégoire Delacourt n'avait jamais été aussi loin dans la révélation de sa propre histoire. En 2012 un journaliste avait perçu "l'enfant mort" en lui. Il lui a fallu arriver à son dixième roman, "L'Enfant réparé" (éd. Grasset), pour oser dire et révéler à lui-même l'enfant "dévoré" qu'il a été. Un enfant aujourd'hui réparé par l'écriture.
Le petit garçon "malicieux, vivant" sur la couverture de son livre, c'est lui. "Je le regarde avec beaucoup de tendresse et je me dis j’étais ça avant d’être dévoré." Dans son dixième roman, Grégoire Delacourt dévoile enfin "quelque chose qui sourdait de livre en livre et [qu’il ne voyait] pas". Abusé sexuellement vers l’âge de 5 ou 6 ans, il a longtemps "enfoui" cette réalité. En 2019, dans "Mon père", il était question d’un père venu demander des comptes à un prêtre coupable d’abus envers son jeune fils. Cette fois, il raconte l’histoire d’un abus sexuel au sein de sa famille, qu’il dévoile peu à peu, comme si le lecteur l’accompagnait dans sa prise de conscience.
"C’est sans doute le livre pour lequel je me suis mis à écrire il y a plus de 10 ans." En 2012, un journaliste de Libération avait vu "l'enfant mort" chez Grégoire Delacourt : "Cet enfant mort - c’est notre hypothèse - est probablement Delacourt lui-même". Une phrase qui avait laissé l’écrivain "K.O." : "Il avait vu quelque chose, l’enfant enfoui en moi que je repoussais, que je devais aller chercher, ramener au monde et lui dire qu’il était aimé."
Il y a plusieurs chemins pour parvenir à s’aimer, à se retrouver. Pour Grégoire Delacourt, publicitaire avant de devenir romancier, c’est l’écriture qui l’a "emmené" et conduit "à la source de cet immense chagrin". "Je savais que l’écriture serait un chemin de croix, qu’elle me mènerait à l’enfant que j’avais été."
Ce qui répare c’est la parole qui est dite et qui est entendue aussi - Grégoire Delacourt emploie souvent le mot "accueillie". Par un hasard de calendrier, "L’enfant réparé" est paru quelques jours avant la publication du rapport Sauvé, la plus grande enquête jamais menée sur les abus sexuels dans l’Église de France depuis 1950. Les propos de Grégoire Delacourt font évidemment écho à la méthode de la Ciase basée sur l’écoute des victimes : "Un des plus grands problèmes de ces malédictions, de ces violences, de ces cognements dont on est victime enfant et même adulte, c’est justement la parole. C’est cette incapacité à parler parce qu’on suppose que la parole ne va pas être accueillie."
Quoi qu’il arrive il y a quelqu’un, quelque chose, de très beau en nous qu’il faut absolument trouver
Pour Grégoire Delacourt, il faut "donner envie à ceux qui souffrent d’oser parler". "Il faut sortir de ce déni que l’on a parfois vis-à-vis de soi-même parce que quoi qu’il arrive il y a quelqu’un, quelque chose de très beau en nous qu’il faut absolument trouver." Pourtant, il l’avoue cela a été "difficile" de proposer ce sujet à son éditrice. "J’avais peur qu’elle ne m’aime plus, parce que quand on a été abusé, quand on a été souillé, on représente un chagrin, une immensité de douleur qui est parfois dure à supporter par l’autre."
Durant son enfance, pour le protéger de son abuseur, sa mère a envoyé Grégoire Delacourt en pension, laissant croire à celui-ci qu’elle ne l’aimait pas. Le "grand regret" de son fils aujourd'hui qu'elle n’est plus là pour voir tout le travail qu’il a accompli. "J’ai mis cinq ans à comprendre qu’elle m’aimait."
Lui qui a étudié dans un internat jésuite "pense souvent à ce chemin de croix du Christ", quand il retrouve sa mère "avec cette croix, cette couronne d’épines ce front sanguinolent", et qu’il se montre "dans sa nudité la plus triste pour un fils et une mère". "Je trouve ça beau parce qu’on connaît la fin et on sait qu’il y a une lumière."
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