Nouvelle émission consacrée au western mais aussi et surtout aux natifs qui peuplaient le continent nord américain : les amérindiens sont à l’honneur avec de nombreux ouvrages leur étant consacrés dont deux excellentes bandes dessinées.
Durango, La Jeunesse T1 de Swolfs et Surzhenko chez Soleil
Texas 1882. Témoin de l'assassinat de trois cowboys , un jeune vagabond échappe lui-même de justesse au tueur, un professionnel armé d'une carabine équipée d'une lunette.Le jeune homme est bientôt engagé comme apprenti par le propriétaire du plus grand ranch de la région et pour qui travaillaient les trois victime mais ignore qu'en acceptant cet emploi, il deviendra témoin actif d'une sanglante guerre entre éleveurs.
Un premier tome de trilogie des plus classiques : les amateurs de Durango ne seront pas perdus et savoureront cette mise en bouche où se profile un complot cherchant à créer une guerre entre 3 propriétaires terriens, un ancien sudiste, un ancien nordiste et un propriétaire indien. L’album se termine avec les uns accusant les autres en s’attaquant dans une guerre sanglante. Durango, encore innocent, n’ayant jamais tué le moindre homme, deviendra, à la fin de cette première partie, un meurtrier : on peut d’ailleurs regretter que cette séquence ne soit pas plus réussie. Et s’il n’ y a guère de surprise aussi bien au scénario - on imagine déjà certaines scènes à venir entre Durango et la fille de son patron - qu’aux dessins, ne boudons pas notre plaisir : le résultat global est tout à fait à la hauteur et nous propose un western classique bien réussi. Aux crayons, Roman Surzhenko passe aisément de l’univers nordique, viking et fantaisiste de Thorgal aux grandes plaines, cow-boys et pistoleros. Le travail est à la hauteur de la série et de ses prédécesseurs ayant mis en scène Durango.
Jim Thorpe de Lecathelinais, Chapelle, Michalak et Faidherbe chez Delcourt
Jim Thorpe, athlète amérindien médaillé d'or aux J.O de 1912 en decathlon et pentathlon, joueur de baseball et de football américain, fut l'une des grandes stars du sport US.
En 1904, Jim quitte la Première nation Sauk et Fox pour le college de Carlisle, où l'on rééduquait les enfants amérindiens. Sur le terrain de football (américain) comme sur les pistes d'athlétisme, l'entraineur Pop Warner va pousser Jim à donner le meilleur de lui-même, jusqu'aux podiums de Stockholm ou au fameux match contre les cadets de West Point dirigés par Ike Eisenhower.
Les auteurs ont pris le parti de ne raconter que ses années fastes alors qu’il était étudiant à Carlisle mais en fin d’album, un dossier complète la biographie du sportif pour nous raconter sa fin de carrière et sa fin de vie. L’album se concentre donc sur la fin de son adolescence, avec quelques retours sur son passé et sa famille où on le voit enfant avec son frère jumeau arpentant la forêt pieds nus et être déjà un grand sportif en devenir. On imagine sa vie difficile dans sa condition d’indien devant s’intégrer dans la société américaine : la devise, édifiante, de l’établissement scolaire où il étudiait étant “tuer l'Indien pour sauver l'homme”, prouve s’il en est le sort destiné des tribus locales. Mais tout en abordant des sujets graves, les auteurs jonglent avec les émotions que procurent le sport et les résultats de notre future star. Nous avons là une belle histoire et même si l’on imagine la réalité un peu plus dure - comme la fin de la vie de Jim Thorpe évoquée dans le dossier en fin de livre - et même si la construction narrative du récit est quelque peu classique, l’ensemble est tout à fait prenant et on lit l’album d’une traite. Aux illustrations, l’expérimenté Emmanuel Michalak propose un découpage très réussi du récit qui joue sur les différentes époques, entre l’enfance et les débuts sportifs de Jim Thorpe. La mise en scène, bien que classique, est agréable et plutôt efficace. Et le dessin de Georges Chapelle nous propose des personnages bien maîtrisés, dessin auquel s’ajoute une belle mise en couleur de Melissa Faidherbe.
Coup de coeur de la semaine
Hoka Hey ! de Neyef chez Rue de Sèvres
Dès 1850, les jeunes amérindiens étaient internés de force dans des pensionnats catholiques pour les assimiler à la nation américaine. En 1900, la population des natifs en Amérique du Nord avait diminué de 93%. La plupart étaient morts de nouvelles maladies importées par les colons, d’exterminations subventionnés par l’état, et lors des déportations.
Georges est un jeune Lakota élevé par le pasteur qui administre sa réserve. Acculturé, le jeune garçon oublie peu à peu ses racines et rêve d’un futur inspiré du modèle américain, en pleine expansion. Il va croiser la route de Little Knife, amérindien froid et violent à la recherche du meurtrier de sa mère, mais aussi celle de No Moon, une amérindienne marquée par la violence des hommes et Willy, un aventurier irlandais. Au fil de leur voyage, Little Knife et le garçon vont s’ouvrir l’un à l’autre et trouver ce qui leur est essentiel.
Une longue et mouvementée balade, plus de 200 pages, pour ce Hoka Hey ! cri de guerre des lakotas dont sont issus nos héros, Hoka Hey ! signifiant « En Avant! ». Et c’est ce que nous allons vivre, une fuite en avant de ces personnages, ces 3 êtres perdus que sont Little Knife, No Moon et Willy, 3 hors-la-loi qui entraînent avec eux ce jeune garçon Georges pour nous faire vivre à ses côtés son récit initiatique à travers cette promenade crépusculaire dont nos personnages ne sortiront pas indemnes. Ce très long format donne à l’auteur les moyens de proposer au lecteur de nombreuses scènes et séquences d’initiations du jeune héros mais permet aussi entre quelques fusillades, des moments de contemplation où le silence joue aussi un rôle très important et l’on peut souligner la maestria graphique de l’auteur qui nous permet, avec ses personnages, de contempler divers environnements tous plus cinématographiques les uns que les autres. Son travail sur la couleur et les effets de lumière est à souligner pour un résultat époustouflant. Ses personnages ne sont pas en reste, son trait semi-réaliste à la frontière du franco-belge, manga et comics possède un petit quelque chose d’original.
La narration de l’ouvrage est parfaitement maîtrisée. La gestion des événements et des rebondissements est parfaitement dosée. La mise en scène est dynamique alternant les séquences aux nombreuses cases et d’autres planches plus allégées. L’action est parfaitement dessinée, tout comme les moments plus intimes, emplis de silence et ou d’émotions. Les seuls bémols que nous pouvons éventuellement avoir sont sur certains dialogues et réflexions qui sonnent peut-être un peu trop contemporaines et même certaines ficelles ne gâchent en rien le plaisir de lecture que procure cet album, qui est pour moi, une des meilleures lectures western de ces dernières années. Et l’on peut ajouter que par le biais du jeune indien acculturé, l’auteur arrive à passer ses messages sans que cela soit trop plombant (même si manquant parfois de naturel). En résumé, nous avons là un western humaniste où les personnages sont le cœur du récit, aux décors éblouissants et aux émotions fortes. Nous avons envie de crier Hoka Hey avec Georges et Little Knife ! On peut ajouter d’ailleurs que l’écrin est à la hauteur du contenu de l’album comme souvent chez Rue de Sèvres et cette collection. Avec son dos toilé, son grand format et son prix abordable pour cette qualité et pagination, l’album est une vraie réussite et pourrait faire un beau cadeau au pied du sapin pour les amateurs d’aventures et de grands espaces nord américains de la fin du XIXème siècle.
Indians, l'ombre noire de l'homme blanc de Tiburce Oger et collectif chez Grand Angle
Le parcours sauvage et violent de l’aigle sacré des Indiens pendant la conquête de l’Ouest. Un western qui sent la poudre et la boue…
En seize histoires, Indians retrace de 1540 à 1889 les épisodes sombres de la conquête de l’Ouest.
Quatre siècles de colonisation qui vont mener, entre les massacres et les maladies propagées par les colons, à un génocide qui n’a jamais porté officiellement ce nom mais qui décima 14 millions d’Amérindiens. Décrivant la face cachée du rêve américain, Indians est un vibrant hommage aux peuples autochtones opprimés…
Tiburce Oger, un auteur que nous apprécions beaucoup à Marque Page, nous vous avons parlé récemment des Apaches parisiens qu’il a dessiné sur un scénario de Philippe Pelaez ou encore de ses westerns, Ghost Kid et surtout Go West Young Man, un album collectif dont il se chargeait du scénario pour nous raconter l’histoire du far west à travers de courtes histoires dessinées par certaines des meilleures gâchettes du 9eme art. Avec Indians, l’auteur nous propose de remettre le couvert, cette fois-ci en prenant le point de vue des amérindiens qui ont subi l’arrivée des européens avant de s’y opposer farouchement sans jamais renoncer à leur liberté. Comme Go West Young Man, cette nouvelle bande dessinée Indians, est publiée chez Grand Angle et nous propose des invités prestigieux tel que Michel Blanc-Dumont, connu notamment pour sa reprise de la Jeunesse de Blueberry ou encore Derib, l’auteur de la série humaniste du trappeur Buddy Longway. Un casting encore une fois copieux et de qualité, une quinzaine d’auteurs se succèdent avec tout autant de talent les uns que les autres, outre de jolis noms que l’on retrouve avec plaisir comme Christian Rossi, Hugues Labiano ou encore Dominique Bertail, 8 nouveaux invités les rejoignent comme Matthieu Lauffray, Dimitri Armand ou encore Emmanuel Bazin pour nous raconter près de quatre siècles de colonisation du continent américain. Entre les massacres et les maladies propagées par les colons, on estime que plus de 14 millions d’Amérindiens ont été tués aux États-Unis. Sans cesse repoussés vers l’ouest, signant des centaines de traités systématiquement bafoués, trahis par le gouvernement américain, les Indiens d’Amérique du Nord ont, malgré leur résistance parfois acharnée, peu à peu cédé leurs terres.
Également traité lors d’un passage dans Hoka Hey, le scénariste Tiburce Oger raconte le massacre des bisons qui est la base de la nourriture des Indiens. Des 70 millions d’animaux que comptait l’Amérique avant l’arrivée de l’homme blanc, on ne dénombrera plus que quelques centaines en 1884 ! Deux ans plus tard en 1886, Geronimo, le dernier grand chef apache se rend. C’est la fin de la résistance indienne. Et dix ans plus tard, il n’y a plus que 250 000 Amérindiens aux États-Unis, pour la plupart parqués dans des réserves. La citoyenneté américaine ne leur sera attribuée qu’en 1924 et le droit de vote seulement en 1948 et comme nous l’avons vu dans Jim Thorpe, Hoka Hey ou encore dans ce récit là, les conquérants ont souvent tout fait pour les assimiler, et nous pouvons noter la très belle histoire courte à ce sujet, dessinée par Emmanuel Bazin. Comme vous le voyez de nombreux aspects de l’histoire du peuple amérindien sont évoqués à travers une quinzaine d’histoires pour près de 120 pages dans lesquelles nous sommes heureux, entre autres choses, de retrouver sur 9 planches, le travail du suisse Derib avec sa mise en scène reconnaissable entre mille. Ici, chaque dessinateur apporte sa touche graphique et malgré des styles différents, la lecture reste cohérente pour un album collectif où les auteurs s’impliquent vraiment et cela se ressent.
Programmation musicale :
Song for Jesse, Nick Cave et Warren Ellis (The assassination of Jesse James d'Andrew Dominik)
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