Nous vivons dans une société française que l'on dit de plus en plus fracturée, et cela peut faire peur. Mais n'y a-t-il pas à l'œuvre le fantasme d'une société unifiée, voire uniformisée ? Pour Mgr Pascal Wintzer, "le christianisme nous dit que la bénédiction est dans la différence".
"Fractures françaises". C'était le thème d'un colloque organisé ce mardi 18 avril par l’Observatoire foi et culture (OFC), de la Conférence des évêques de France. Un thème ô combien d'actualité pour ce premier des Mardis de l’OFC. Fractures économiques, sociales, idéologiques, politiques, religieuses... On pourrait croire qu'il y en a de plus en plus, voire qu'elles se creusent, dans notre pays. Mais au regard de quel modèle de société ? Le président de l'OFC, Mgr Pascal Wintzer, nous propose de changer de regard sur une unité sans doute fantasmée de la société, et aussi de l'Église catholique. Il vient de publier un essai remarqué sur la réforme de l'Église après les révélations sur les abus sexuels.
On est souvent habités par une sorte de regard nostalgique sur une France qui, à un moment ou à un autre, aurait été grande et unifiée
À force de voir les crises se succéder, on aurait fini par admettre que la société française est fracturée, voire de plus en plus fracturée. Et cela par défaitisme, comme si on avait à regret tourné le dos à un passé fantasmé. "On est souvent habités par une sorte de regard nostalgique sur une France qui, à un moment ou à un autre, aurait été grande et unifiée", observe Mgr Pascal Wintzer. On parle ainsi du siècle de Louis XIV - le Grand Siècle, de l’époque de Charles de Gaulle comme d’un âge d’or… "Je ne rêve pas d’une réalité unifiée et homogène qui aurait existé", déclare à l'inverse Mgr Wintzer.
D'ailleurs, "est-ce qu'une France totalement unifiée a jamais existé ?" questionne l'archevêque de Poitiers. "Je ne le pense pas, répond-il, nous avons une manière de comprendre notre pays comme fracturé au regard de l’idéal que nous avons de notre nation." Or, "aucune réalité n’est unifiée de soi, affirme l’archevêque de Poitiers, le monde, les réalités, sont marqués par des diversités des tensions entre les sexes, les âges, les générations entre les cultures et les milieux sociaux..."
Si l’on peut considérer que c’est "dans la nature d’un pays" de connaître "des différences et des tensions", il ne s’agit pas, prévient Mgr Wintzer, "de se satisfaire de tensions où des violences s’expriment". Par exemple, en plus des violents affrontements qui ont eu lieu dans son diocèse autour des méga-bassines de Sainte-Soline, il y a lieu de regretter la façon dont la question des retenues d’eau est devenu "un sujet épidermique", estime Mgr Wintzer. "Sitôt qu’on pose une question, même avec modestie… la question est prise comme une forme d’affirmation, on est pour ou on est contre", regrette l’archevêque. En démocratie, on ne peut éviter la confrontation, mais celle-ci "suppose des règles et une organisation", souligne l'archevêque de Poitiers. À l’inverse, là où l’unité existe, c’est "dans les régimes totalitaires", note Mgr Wintzer. "Mais on voit à quel prix existe cette unité !"
Il serait dangereux de voir dans le christianisme une sorte d’unité radicale qui serait un outil au service d’une unité humaine qui n’existe pas
Abandonner le fantasme d’un peuple totalement unifié, la question se pose aussi pour les catholiques. "La religion est le système qui peut se muer dans le pire des totalitarismes. Pour certains, elle n’est que cela", écrit Pascal Wintzer dans son texte "Abus sexuels dans l’Église catholique - Des scandales aux réformes", publié en mars dernier dans la collection Tracts chez Gallimard. Un petit essai percutant où l’archevêque de Poitiers interpelle sur la façon de changer l’Église. Et cela commence selon lui par s’attaquer à "ce qui entretient l’entre-soi"...
"Il serait dangereux de voir dans le christianisme une sorte d’unité radicale qui serait un outil au service d’une unité humaine qui n’existe pas", déclare Pascal Wintzer. L’archevêque de Poitiers rappelle que le Dieu des chrétiens est ce "mystère trinitaire" : "Il y a donc de la différence en Dieu." Et pour l'archevêque de Poitier, "le christianisme nous dit que la bénédiction est dans la différence". À la fraternité, la communion et la relation, il oppose "l’uniformité, qui n’est pas l’unité telle que Dieu la veut, telle [qu'il la reçoit] de la tradition chrétienne et de la Bible".
"Si Dieu, et ceux qui s’en réclament, sont des oppresseurs des libertés qui justifient la mainmise de certains sur d’autres, qui encouragent la division entre les personnes, qui conduisent au rejet de certaines catégories d’humains pour des raisons de genre ou d’orientation sexuelle, le choix moral le plus digne est celui de l’athéisme. Pour ma part je préfèrerais être athée que de croire en un tel Dieu."
Mgr Pascal Wintzer, "Abus sexuels dans l’Église catholique. Des scandales aux réformes", coll. Tracts, éd. Gallimard, mars 2023
Admettre les tensions et les désaccords, en un mot bâtir l'unité et la fraternité, pour Mgr Wintzer, cela est possible si l’on considère d’abord que la différence est inscrite au cœur de chacun. "Sans doute que la première différence elle se joue dans l’intimité de chacun..."
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