Ce mercredi s'ouvre à Paris le procès des attentats du 13 novembre 2015. Cette année-là, Abdennour Bidar s’est fait connaître mondialement en publiant sa "Lettre ouverte au monde musulman". Depuis, il est une voix qui compte dans le dialogue avec l’islam et sur la laïcité en France. Philosophe, musulman de tradition soufie, inspecteur général de l’Éducation nationale, il a été l’un des principaux rédacteurs de la Charte de la laïcité à l’école. Il publie "Génie de la France" (éd. Albin Michel), une réflexion passionnante sur notre pays et la conception française de laïcité.
"Je pense que toute religion a un rendez-vous décisif, génération après génération, avec elle-même de ce côté-là qui est que le sacré exerce une fascination prodigieuse qui peut être effroyable !" Comment faire revenir à la raison un homme qui, parce que fasciné par le sacré, croit qu’il peut tuer au nom de Dieu ? Pour Abdennour Bidar, "il faut faire très attention, se doter d’une très grande éducation, d’une culture spirituelle, pour résister à cette fascination du sacré". Mais il y a là une question d’éducation : il s'agit d'apprendre à "prendre l’autre en considération comme notre égal spirituel", qu'il croie en un autre Dieu ou qu'il n'y croie pas.
Inspecteur général de l’Éducation nationale, Abdennour Bidar a été le principal rédacteur de la Charte de la laïcité à l’École. "Nous avons besoin d’une culture religieuse", affirme-t-il. Dans notre société "matérialiste" où "nos âmes sont anémiées", il prône l’enseignement du fait religieux à l’école. Pour lui, la laïcité ce n’est pas reléguer la religion à la sphère privée mais limiter le religieux si celui-ci a "une volonté de puissance". Le philosophe conçoit la laïcité à la française comme un vide. Un vide qui n’est pas le néant, mais un espace où chacun peut s’exprimer. Un peu comme les temps de partage qu’il propose au sein de l’association Sésame qu’il a cofondée en 2016. Un "lieu de partage spirituel" où des personnes de tous horizons peuvent échanger sur les religions. Mais aussi partager des moments de silence pour "communier en profondeur sans que rien ne soit imposé".
Abdennour Bidar se dit "philosophe spirituel" : mais cette expression est "un pléonasme". "Le spirituel c’est le questionnement du sens, le questionnement de fond, c’est-à-dire la question de ce qui est au-delà des apparences, de ce qui transcendant, de ce qui transcende nos certitudes, nos représentations, nos convictions, la question de la vérité, du lieu de la vérité." En France, on a plus l’habitude de voir nos intellectuels déconstruire le spirituel. Comme s’il s’opposait à la raison. Or, pour Abdennour Bidar, le spirituel n’est pas seulement "une affaire d’illusion, d’opium du peuple ou d’obscurantisme". "Le sens du spirituel pour moi c’est le sens du mystère... La vie est mystérieuse, il y a quelque chose de subtil qui est dit dans nos aventures humaines."
Abdennour Bidar a grandi avec une mère médecin auvergnate catholique, convertie à l’islam dans les années 60 après avoir étudié le soufisme, et un grand-père auvergnat communiste athée "grand humaniste et résistant". Entre ces deux visions du monde qui ont marqué son enfance, il s’est senti "écartelé, tiraillé" mais aussi "stimulé". "Il fallait que je me fasse mon opinion… j’ai été sommé de réfléchir pour me trouver." Il a le sentiment d’avoir grandi, évolué, dans "les interstices, les intervalles". "Je suis à l’aise dans le vide, dit-il, dans ce qui est au-delà des certitudes que peut donner l’identité ou l’appartenance à telle ou telle idéologie." C’est ce parcours qui a nourri sa vision de la laïcité aujourd’hui, comme quelque chose qui permet ce vide, qui donne sa place à quelque chose de l’ordre du mystère, qui "échappe à toute définition".
En 2002, lui qui était "un prof de philo qui enseigne au fin fond de la Corrèze", a eu l’idée de proposer à la revue Esprit une "Lettre d’un musulman européen". C’était après les attentats du World Trade Center. Et avant la vague d’attentats terroristes qui ont touché la France. À ce moment, pour lui comme pour beaucoup de musulmans, la question s’est posée : comment vivre avec l’idée que d’autres musulmans – ou s’affirment comme tel - puissent perpétrer des actes aussi abominables ? "Ce n’est pas quelque chose qui ébranle ma foi, par contre ça suscite chez moi une saine colère critique ou une sainte colère. Je me dis que ma responsabilité de croyant, d’intellectuel musulman, c’est que je ne peux pas laisser face ça. Je ne peux pas laisser l’idéologie islamiste contaminer autant d’esprits sans que j’essaie, à ma modeste mesure bien entendu, de faire quelque chose."
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