Protestants, catholiques, juifs, bouddhistes ou musulmans... En prison ou à l'hôpital, l'État français garantit la présence d'aumôniers de différentes religions. S'il le fait au nom de la liberté de culte prévue par la loi de 1905, ce n'est que récemment que l'État s'est emparé de la question. Et avant cela, ce sont les aumôneries catholiques qui ont accompagné la pluralisation des cultes.
Les aumôneries d’hôpitaux et de prison sont des lieux fascinants à observer pour qui s’intéresse à la façon dont l’État collabore avec les cultes. Au nom de la liberté religieuse, l’État français assure aux malades comme aux détenus la présence d’aumôniers. Or les aumôneries sont historiquement marquées par le catholicisme, qui les a façonnées. Comment les prêtres aumôniers ont-ils donc fait pour laisser la place aux représentants des autres cultes ? Le nombre d’aumôniers par culte est-il proportionnel aux religions des détenus ou des malades ?
La pluralisation des cultes au sein des aumôneries de prison et d’hôpitaux s’est faite dans les années 80 avec l’arrivée de "minorités nouvelles", principalement musulmanes. La sociologue Céline Béraud précise "qu’il n’y a pas vraiment de travaux historiques, on a peu d’archives pour en faire une histoire précise". Une chose est sûre, la France représente un cas à part. "Il y a une spécificité en France par rapport à d’autres pays de tradition catholique. Je pense à l’Italie ou l’Espagne, notamment où du fait des régimes des cultes reconnus au XIXe, il y a une présence qui est historiquement plurielle…"
En France, dès le XIXe siècle, le judaïsme et le protestantisme ont été représentés — les "minorités historiques" comme les appelle Céline Béraud, directrice d’études à l’EHESS et autrice du livre Une religion parmi d’autres : le catholicisme en prison et à l’hôpital (éd. PUF, 2025). Les années 80 constituent un tournant avec l’arrivée de minorités musulmanes, donc. Et, jusque dans les années 2010, "une montée en puissance des [chrétiens] orthodoxes".
Ces "minorités nouvelles" ont d’abord été "accompagnées par des aumôniers chrétiens, catholiques ou protestants, qui jouaient un rôle un peu de parrains", rapporte Céline Béraud, dans un contexte où l’État "se désintéressait de ce dossier-là".
La sociologue cite l’exemple de prêtres ou de pasteurs se rendant à la mosquée trouver un imam pour des visites soient faites auprès de malades ou de détenus musulmans. Le catholicisme, acteur historique en ce domaine, s’est donc "repositionné" dans ces deux espaces que sont la prison et l’hôpital. "Un repositionnement sur le terrain avant même que l’État y réfléchisse complètement."
Pourquoi l’État s’est-il emparé de la question dans les années 2000 ? D’abord au nom de "la liberté de religion qu’on fait remonter à la loi 1905 mais qu’on peut faire remonter à la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen", répond Céline Béraud. La liberté de culte est vue comme un droit fondamental.
"La crainte d’un religieux non régulé" reste pour la sociologue "le moteur le plus puissant" qui pousse l’État à intervenir. Crainte d’une montée de l’islam radical après les attentats du 11-Septembre, et plus encore après les tueries de Toulouse en 2012 ou du 7-Janvier-2015 à Paris. Ces attentats "sont vraiment le moment où, de manière tout à fait fausse, on accuse quasi exclusivement la prison comme si c’était la seule institution responsable de ces trajectoires-là". C’est donc dans le cadre du plan de lutte antiterroriste (Plat) que l’État a recruté des aumôniers musulmans.
Ce qui explique pourquoi aujourd’hui la pluralisation des cultes "est bien davantage avancée en prison qu’elle ne l’est à l’hôpital", comme le note Céline Béraud. "Les aumôniers catholiques sont ultra majoritaires à l’hôpital autour de 75 ou 80 %, si on prend les bénévoles ou les salariés. Dans le cas de la prison, on est un peu plus de quatre sur dix."
En prison toutefois, la "présence numérique des aumôniers catholiques est plus importante que celle des musulmans alors qu’il y a une population au moins de culture — je ne sais pas si c’est de pratique mais au moins de culture — qui est extrêmement importante, c’est plus de la moitié", note Dominique Buet. Aumônier laïc de la maison d’arrêt de Nanterre, il s’y rend trois fois par semaine. Comme il le dit, "l’indicateur", c’est le nombre de colis de ramadan distribués à Nanterre : "500 pour 1 100 détenus".
Sept cultes sont aujourd’hui agréés en prison. Tout l’enjeu étant de définir les critères pour choisir les aumôniers. Ceux-ci sont "au cœur à la fois d’une régulation religieuse et d’une régulation étatique. Ça montre qu’ils sont vraiment à l’articulation des deux."
Si l’autorité religieuse compétente désigne les aumôniers, ceux-ci doivent obligatoirement, depuis 2017, avoir un diplôme universitaire (DU) en laïcité, religion et citoyenneté. Pour les aumôniers de prison, c’est la direction interrégionale des services pénitentiaires qui assure ensuite le processus d’habilitation.
Nombreux sont les aumôniers catholiques bénévoles. Ainsi, à l’hôpital Cochin, Audrey Bernard est secondée par 12 à 15 bénévoles, présents à la chapelle ou dans les chambres. Deux prêtres assurent les astreintes de nuit. Le rôle des aumôniers catholiques reste donc particulier en raison de leur nombre.
Ils assurent souvent le relais entre les patients et les aumôniers des autres cultes. "La bouddhiste, on la voit très peu, raconte Audrey Bernard. Elle vient sur demande, elle n’a pas de bureau. Le rabbin vient très peu et l’orthodoxe, il vient sur demande téléphonique. Par conséquent, c’est un peu l’aumônerie catholique qui relaie les demandes."
Les aumôniers catholiques sont aussi pour la plupart des laïcs — et en majorité des femmes. Si dans le cas des prêtres aumôniers ou des religieuses, on est endroit de se dire que cela fait partie de leur mission, pour les laïcs, cela interpelle. Comme le formule le jésuite Bruno Saintôt, "qu’est-ce qui les pousse à rejoindre des milieux qui sont quand même objectivement difficiles, où on est exposé à la souffrance, à la mort, à des traversées de vie qui sont extrêmement dures ? Il me semble qu’avec la présence de nombreux laïcs aujourd’hui, cette question, elle redevient fondamentale." Sans doute serait-il instructif pour l’Église catholique de creuser cette question "de la motivation spirituelle et théologique" des acteurs laïcs de l’Église.
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