Paul et Camille Claudel ont fait couler beaucoup d'encre. On a beaucoup romancé la relation entre le frère et la sœur, deux génies de l'art. Deux destins marqués par la solitude et la souffrance de la maladie psychique. Une relation qui a fait voir à Paul le tragique du non-sens mais aussi la rédemption par une infinie tendresse. On en parle avec Marie-Victoire Nantet, petite-fille de Paul Claudel, et auteure de "Camille et Paul Claudel - Lignes de partage" (éd. Gallimard, 2020).
Qu’est-ce qui les sépare ? Qu’est-ce qui les unit ? D’un côté un très grand poète, de l’autre une très grande sculptrice. Paul et Camille Claudel ont vécu ensemble 24 ans, jusqu’au départ de Camille pour Paris en 1888. S’il ne reste que neuf lettres et une carte postale de leur ample correspondance, des textes de Claudel consacrés à sa sœur "complètent l’idée que l’on peut se faire de leurs échanges". Tout comme les trois bustes de Paul réalisés par Camille. Ainsi, le tout premier, appelé "Jeune Romain", représente Paul à 13 ans, "exalté en héros" dans un style néo-florentin. "On devine bien de la part de Camille une admiration" pour son petit frère.
L’un a mené une vie de diplomate, l’autre une vie d’artiste. Mais l’un et l’autre avaient le même tempérament - "ce sont des violents et des solitaires l’un et l’autre" - et un même génie créateur. Claudel lui-même se demandait comment ses parents, des gens "ordinaires", avaient donné naissance à deux enfants créateurs, deux "personnes inspirées", comme dit Marie-Victoire Nantet. On a souvent évoqué l'idée que Paul devait son génie artistique à Camille. Mais sa découverte - décisive - de Rimbaud, ne doit rien à sa sœur.
Quand, après cinq ans passés en Chine, Paul Claudel rentre en France, il est "dans un état lamentable", proche de la folie. Rosalie Vetch, cette femme mariée et mère de quatre enfants qui faisait l’objet d’un amour 'absolument puissant' a disparu enceinte de lui après quatre ans de relation. Rencontrée en 1900, elle lui a inspiré le personnage d'Ysé dans le magnifique texte "Partage de midi".
En 1905 donc, Paul Claudel rentre en France et découvre l’état dans lequel est sa sœur. Il "voit qu’elle est en train de s’effondrer sur le plan physique et psychique". L’année 1905 est décisive dans la relation qui unit le frère et la sœur. Ce sont deux malheureux qui se rejoignent, "deux artistes qui vont s’exprimer dans un rapport réciproque de soutien et d’hommage". Camille réalise un dernier buste de son frère, et Paul décide de consacrer un article à sa sœur, "dans un acte militant". Il écrit dans la revue L’Occident un texte pour défendre l’œuvre de sa sœur et notamment la distinguer de celle d’Auguste Rodin.
Le 25 décembre 1886 a été chez Claudel une date clé, celle de sa conversion, de sa rencontre avec le Christ. "Cette rencontre avec une personne, elle a eu lieu de son point de vue, je m’incline et je ne cherche pas à la déconstruire", affirme sa petite-fille. Quand, quelques années plus tard, la psychose s’est emparée de sa sœur, "ça a été absolument tragique" pour Paul. Lui "dont le rapport à la vie fut de trouver le sens", a "buté pendant des années sur le fait qu’il y a un non-sens". Atteint d’une "dépression psychique", il va petit à petit évoluer vers "la tendresse".
En septembre 1943, lors de la visite qu'il rend à sa sœur, qui sera la dernière, celle-ci l’appelle "mon petit Paul". Des mots tendres qui donnent à ce moment un caractère "absolument décisif". Claudel découvre alors "l’absolue tendresse". Il rentre chez lui, "ouvre son journal et le sens lui apparaît". Pour Marie-Victoire Nantet, de cette tendresse-là, Paul Claudel bâtit "un scénario christique, qui va vers le sens et vers la rédemption". Camille meurt le 19 octobre 1943.
Dans "Ma sœur Camille" (1951), Paul Claudel écrit : "Je la revoit, cette superbe jeune fille dans l’éclat triomphal de sa beauté et du génie et dans l’ascendant souvent cruel qu’elle exerça sur mes jeunes années." Il écrit aussi : "L’œuvre de ma sœur, ce qui lui donne son intérêt unique, c’est que toute entière, elle est l’histoire de sa vie."
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