La vague MeToo ébranle enfin le petit monde du cinéma français, cette "étrange famille" dont parle Judith Godrèche. Mais le cinéma veut-il vraiment changer ? Retour sur l’interpellation de la comédienne lors de la 49ème soirée des César avec l’équipe d’Effervescence, le magazine de l'étonnement culturel animé par Stéphanie Gallet sur RCF.
"Je parle mais je ne vous entends pas." La puissante interpellation de Judith Godrèche lors de la dernière cérémonie des César reste assurément comme le moment fort de cette grand-messe du cinéma français.
Intervention Judith Godrèche pendant les César 2024
Un discours pas facile précédé et suivi d’une standing ovation. On en viendrait presque à oublier qu’il y a quatre ans, le 28 février 2020, la comédienne Adèle Haenel quittait la cérémonie des César pour protester contre l’attribution du prix du meilleur réalisateur au cinéaste Roman Polanski accusé d’agression sexuelle par plusieurs femmes alors qu’elles étaient mineures.
"Désormais on se lève et on se barre." Ce cri d'Adèle Haenel, repris ensuite dans le journal Libération par Virginie Despentes restera comme un cri isolé auquel semble répondre quatre ans plus tard le "Je parle mais je ne vous entends pas" de Judith Godrèche.
Le cinéma français a-t-il enfin accepté d’ouvrir les yeux sur ce qui se trame en son sein au nom de l’art ?
Pour Valérie de Marnhac, "ce qui se passe est un mouvement de longue haleine, une vague de fond qui touche toutes les strates de la société et pas seulement le cinéma. Il y a le cinéma, mais il y a également le sport, l’école, la famille, l’Eglise. Chaque secteur a ses spécificités, l’abus spirituel dans l’Eglise par exemple. Mais quand Judith Godrèche dit “L'image de nos père idéalisés s'écorche” des rapprochements se font et le phénomène d’emprise se retrouve partout. Ce qui est propre au cinéma, c’est la frontière entre vie privé et vie professionnelle et ces actrices qui sont à la fois des femmes et des personnages à l’écran."
On peut s’étonner qu’après l’affaire Weinstein qui a ébranlé le cinéma américain, la vague Metoo ait mis plus de six ans à arriver en France. Valérie de Marnhac rappelle que "des femmes parlaient déjà mais qu’elles étaient seules contre tous. Ainsi dès la fin de son histoire avec Benoit Jacot, judith Godrèche écrivait un livre Point de côté et puis dès 2001 des comédiennes portaient plainte contre le réalisateur Jean-Claude Brisseau qui sera condamné pour harcèlement sexuel."
Si le cinéma ouvre enfin les yeux, c’est peut être d’abord parce que la société est enfin prête à écouter ces femmes.
François Huguenin salue la grande dignité de Judith Godrèche.Il y a là pour François Huguenin "de vraies questions à se poser sur la nature du cinéma ? Il rappelle que François Truffaut (chaud-la pin par ailleurs) s’interdisait les scènes de sexe au cinéma." Et de se demander si on n’a pas dégradé le cinéma en multipliant des scènes de nudité, de rapports sexuels. Il rappelle les quarante prises pour tourner une telle scène évoqués par Judith Godrèche. Quarante prises sur un plateau dans l'indifférence ou le silence de l’équipe.
Mais François Huguenin redoute que "ce milieu du cinéma qui pendant des années est resté sourd aux souffrances de ces femmes et n’a pas voulu voir ce qu’il voyait, se transforme, par un tour de passe passe dont il a le secret, en donneur de leçon, nous proposant bientôt un nouvel ordre moral. Ces gens-là, poursuit François Huguenin, ne peuvent pas toujours être dans le camp du bien, on attendrait d’eux un peu plus de modestie et de pudeur."
Pour Valérie de Marnhac, "il faut effectivement se garder des excès inverses mais pour le moment, on n'en est pas encore là." Elle a été marquée par l'extrême dignité de cette soirée des César. Peut-être que l’assemblée était sidérée devant les enjeux de ce qui était en train de se passer, mais la prise de conscience est là, des réflexions ont été enclenchées. Quelque chose se passe.
Alors c’est une chose de reconnaître ce qui s’est passé, c’est déjà un pas énorme mais c’est une autre de mettre en place des dispositifs pour que cela ne se reproduise plus. Pour Valérie de Marnhac, "tout cela passera par l’éducation, l’éducation au regard. "Les films nous regardent et nous regardons les films" dit Judith Godrèche. Les mots de bien-pensance et bienséance doivent pour elle redevenir des termes positifs."
Il faut toujours dire ce que l'on voit ; surtout, il faut toujours, ce qui est plus difficile, voir ce que l'on voit. Charles Péguy Notre Jeunesse cité par François Huguenin
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