Cette semaine Marque Page vous fait découvrir des récits sur la quête d’identité, tout en nous faisant voyager pour un choc des cultures avec des histoires qui vont nous emmener en Asie au Japon ou encore au Vietnam mais aussi au Proche-Orient dans la capitale libanaise.
Himarawi House d'Harmony Becker chez Rue de Sèvres
Américaine d'origine japonaise, Nao part un an pour Tokyo afin de renouer avec ses racines familiales. Sur place, elle loue une chambre à la maison Himawari et y fait la rencontre de Hyejung et Tina, coréenne et singapourienne, venues au Japon comme elle pour trouver leur voie et prendre leur indépendance. Les trois amies partagent leur quotidien et fréquentent la même école de langue japonaise. Alors que leurs motivations et leurs défis sont différents, elles avanceront ensemble, malgré la barrière de la langue, dans leur quête d'identité.
Himawari House, c’est en fait une maison japonaise qui accueille des jeunes en colocation. Sur place, quand Nao arrive, il y a déjà deux étudiants japonais, Shinishi et Masaki. L’un est plutôt accueillant quand l’autre lui, est renfrogné et fait tout pour éviter les étrangères. Et il y a donc Hyejung et Tina qui, comme Nao, cherchent dans ce voyage au Japon, un sens à leur parcours. En fuyant souvent le domicile parental, trop lourd pour les épaules. On découvre ainsi au cours des près de 400 pages de cette bande dessinée, différents destins qui se rejoignent au moment où ils en ont le plus besoin. Les 3 filles, malgré la barrière de la langue, se parleront en japonais ou en anglais pour se comprendre, se soutiendront et trouveront la force d’aborder la suite de leur vie dans leur quête d’identité. Un sujet qui touche l’autrice de cette BD, Harmony Baker dont Nao semble inspirée. Nao qui se sent trop japonaise aux Etats-Unis où elle a vécu presque toute sa vie, veut tenter de se rapprocher de ses racines. Elle verra que ce n’est pas si facile, car au Japon, elle se sentira cette fois-ci trop occidentale.
L’autrice décrit très bien la vie en colocation. Nous aurons les coups de blues de nos jeunes filles qui se sentent parfois très seules, mais aussi le moral qui remonte avec les amies toujours là pour se soutenir. Nous découvrirons aussi une sympathique voisine et des pans de la culture japonaise mais aussi coréenne et singapourienne. Le livre se déroulant sur une année entière, on voit l’évolution des saisons et des relations entre les 5 colocataires. On découvre les histoires de Hyejung, Tina et bien sûr Nao, et l’on apprend que si Masaki n’était pas agréable envers elle, c’est tout simplement parce qu’il se sentait exclu de ne pas savoir parler anglais ! La barrière de la langue est d’ailleurs bien retranscrite avec les dialogues en version originale. Et nous avons des bulles où se retrouvent idéogrammes, de l’anglais et la traduction française bien sûr.
Au dessin, Harmony Baker, propose comme souvent en manga, un travail en noir et blanc et reprend la plupart des caractéristiques de ce style. Le trait est plutôt réaliste mais lorsque les émotions sont trop fortes, il devient caricatural, avec les déformations de rigueur, gros yeux, grosses larmes ou étoiles pétillantes. La mise en page fait le travail pour ne pas se sentir lassé à la lecture de ce petit pavé et les décors même si pas très exploités restent soignés. Une bande dessinée publiée chez Rue de Sèvres qui peut nous émouvoir et dotée d’une bienveillance bienvenue, Himawari house est une agréable surprise.
Sông de Hài-Anh et Pauline Guitton chez Ankama
Une mère confie à sa fille le récit de son adolescence dans le maquis pendant la guerre du Vietnam contre les Américains. De 1969 à 1975, Linh, aujourd’hui réalisatrice, a passé sept ans avec les révolutionnaires communistes qui l’ont initiée à la résistance mais aussi au cinéma. Du témoignage d’une femme vietnamienne sur cette partie de l’Histoire peu racontée découlera un portrait de la relation complexe qu’entretient Hài-Anh, l’autrice, avec sa mère et ses origines.
Sur près de deux cent pages, la scénariste Hài-Anh raconte l’histoire de sa mère, elle l’interviewe pour qu’elle lui fasse le récit de son adolescence dans le maquis pendant la guerre du Vietnam contre les Américains. De 1969 à 1975, Linh, aujourd’hui réalisatrice reconnue, a passé sept ans avec les révolutionnaires communistes qui l’ont initiée à la résistance mais aussi au cinéma. Du témoignage d’une femme vietnamienne sur cette partie de l’Histoire peu racontée découlera un portrait de la relation complexe qu’entretient Hài-Anh, l’autrice, avec sa mère et ses origines. Une vie bien singulière que celle de Linh, elle qui, à cause de la guerre, n’a jamais rencontré son père, alors âgée de 16 ans, en 1969, elle décide de le rejoindre dans le maquis. On y découvre la vie quotidienne que vivent les révolutionnaires : comment faire cuire du riz sans se faire repérer, les lessives, comment faire aussi lorsque l’on a ses menstruations, les changements de camps réguliers pour éviter les bombes et avions américains. Et surtout sa rencontre avec son père qui tourne des films pour le Front National de Libération.
Dans son récit, les enjeux de ce conflit sont bien sûr abordés mais ce n’est qu’une petite partie de cette bande dessinée. L’important est dans le quotidien vécu sur la fin d’adolescence de sa mère, la découverte du cinéma et bien sûr la relation de la scénariste Hài-Anh avec Linh sa mère si particulière. Le désir ou peut-être même le besoin de créer du lien avec sa mère, de savoir d’où elle vient pour mieux la comprendre donne à Hài-Anh des clefs pour mieux se comprendre elle-même tout simplement. Comme Nao dans Himawari House, Hài-Anh est partagé entre deux pays, celui où elle a grandi et celui de ses origines, et au bout de la lecture de Sông, le lecteur appréhende bien mieux ce que fait d’avoir deux pays et cultures si différents.
Au dessin, la scénariste Hài-Anh est accompagnée par le travail de Pauline Guitton qui était sa voisine lorsqu’elles étaient enfants. Elles ont grandi ensemble et après des études de Beaux-Arts à Caen, elle est partie vivre pendant un an au Vietnam avec Hài-Anh. Son trait semi-réaliste et sa mise en couleurs en aplats avec de légères variations sont très élégants. On pourrait aussi dire sobre mais délicat. La mise en scène est simple mais soignée et le jeu des regards et émotions très bien rendu. Elle est l’illustratrice parfaite pour ce récit intime.
En vietnamien, « Sông » signifie « vivant » ou « en vie » : c’est le terme qui vient en tête à Hài-Anh quand sa mère lui raconte sa jeunesse dans le maquis. Le livre est d’ailleurs divisé en chapitres avec un titre en vietnamien qui renforce la plongée du lecteur dans cet univers nouveau. Cette bande dessinée est bien vivante et bien écrite, elle est un témoignage sur la guerre du Vietnam mais surtout un très bel hommage à Linh, une histoire intime sur la transmission entre une mère et sa fille.
Une éducation orientale de Charles Berberian chez Casterman
Il n’est sans doute pas facile de se définir lorsqu’on est né à Bagdad d’une mère d’origine grecque et d’un père arménien, et qu’on a grandi à Beyrouth jusqu’à l’âge de 10 ans, juste avant que n’éclate la guerre civile au Liban... À travers ses propres souvenirs et la reconstitution de son histoire familiale, Charles Berberian nous invite à partager son retour aux origines, qui s’impose comme le livre le plus intime et universel de toute son œuvre. Un plaidoyer humaniste en faveur du dialogue entre les cultures, mis en images avec chaleur et générosité.
La naissance de ce récit prend racine en mars 2020 au début du confinement. Comme tous les français, Charles Berberian se retrouve enfermé chez lui à Paris et lui, forcément, il dessine. Cette situation le renvoie en 1975 lorsqu'il vivait à Beyrouth alors en pleine guerre civile. Encore adolescent, il ressent à ce moment le dessin comme un refuge, un abri dans une ville où il n’est désormais plus en sécurité. Il se replonge et nous plonge donc avec cet album dans cette période chaotique et nous dévoile pudiquement un peu de l’histoire complexe d’une famille dont il est désormais le seul dépositaire. L’auteur navigue entre sa vie actuelle et passée et la capitale libanaise d’aujourd’hui et d’hier, cherchant à retrouver la trace des lieux qui le virent grandir, des rues qu’il arpenta avec son frère, de l’appartement de sa grand mère Yaya qui le prit sous son aile. Retrouver Beyrouth 30 ans plus tard n’est pas chose aisée tant la ville fut transformée, par la guerre bien sûr, mais aussi par les bouleversements économiques et géopolitiques ou encore l’explosion de son port en 2020. Charles Berberian décrit cependant cette ville qu'il aime tant et qui semble toujours se relever des catastrophes subies avec une énergie et un flegme étonnants. Parler de la ville c’est aussi parler de la vie et donc des gens qui l’habitent et qui font de Beyrouth ce qu’elle a été, ce qu’elle est et sera. On sent beaucoup d’amour et de tendresse dans cette éducation orientale, tant pour les souvenirs que l’auteur convoque que par les formes de graphismes qu’il utilise. Alternant noir et blanc et couleurs, reproductions de peintures, tracts, photos et annotations, Charles Berberian nous livre un journal de route qui est aussi intime en rendant hommage à ceux qui l’aiment et qui l’accompagnent même dans leur absence.
Programmation musicale :
After the crash, Charles Berberian (Tout pour le mieux, 2019)
Jeanne et Alexis vous donnent rendez-vous pour leurs coups de cœur du moment : romans noirs, littérature jeunesse, bandes dessinées...
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