Christiania est un quartier atypique à Copenhague, où vivent quelque mille personnes, toutes se définissant comme anarchistes et hippies. Retour sur son histoire et son état d'esprit.
Le quartier de Christiania à Copenhague imprime son état d'esprit depuis maintenant 51 ans. C'est en 1971 que quelques habitants fondent ce quartier. Ils vivaient alors dans des logements insalubres. Au même moment, l'armée danoise évacue un camp militaire, sans lui donner de nouvelles fonctions. Alors des personnes en profitent pour l'investir et s'installer progressivement. C'est le début de la communauté hippie de Christiania, des gens qui veulent profiter de l'eau, de la forêt, du soleil, sans projet réellement formé.
En quelques jours, les premiers squatters se comptent en centaines et décident de faire sécession. Le 13 Novembre 1971 Kim, Kim, Sven, Ole et Jakob griffonnent la constitution de la cité libre et indépendante de Christiania: « L’objectif de Christiania est de construire une société autonome où chaque individu peut s’exprimer librement, de façon responsable envers la communauté. Cette société devra s’autosuffire économiquement, et les aspirations communes tenteront de montrer que la pollution, psychique comme physique, peut être évitée. »
Au début, personne ne semble enclin à laisser les habitants à Christiania. Côté politique, ni la gauche (par opposition idéologique), ni la droite (dénonçant le non respect des règles) n'acceptent ce nouveau quartier. De son côté la municipalité de Copenhague a mené une interminable guérilla administrative, judiciaire et policière contre Christiania pendant 40 ans avant finalement de jeter l'éponge, reconnaissant que les anarchistes christianites ont su gérer les problèmes de la drogue et de la grande exclusion dans leur cité libre. Leurs maisons construites sans permis ne se sont pas effondrées sur leurs occupants. Les bâtiments squattés ne se sont pas embrasés. Aucun leader délirant n’a jamais émergé de la communauté. Aucune secte ne s’y développe. Christiania est même devenue une des premières attractions touristiques du Danemark. Cinq cent mille visiteurs s’y bousculent chaque année.
Christiania permet à des marginaux de vivre à leur rythme en étant heureux
Pendant ce temps, la communauté commence à s'organiser. Avec une précision de taille : il n'y a aucun élu au sein de la communauté. Chacun a une voix aussi importante que son voisin et aucun privilège n'est accordé à l'intelligence, au mérite ou au travail. Et encore aujourd'hui ça semble fonctionner. Dès qu'une maison se libère, vingt à trente personnes sont candidates pour prendre la place, sachant que l'habitation appartient à la communauté et non aux habitants de la Cité libre. Toutes les personnes vivants au sein de Christiana doivent accepter les nouveaux arrivants.
Les « pushers », les vendeurs de drogue s’installent, en effet, à Christiania en même temps que les hippies, les pauvres, les militants et les marginaux. La consommation de drogues douces est un élément constitutif du mode de vie christianite. Pourtant, les « pushers » n’ont jamais été acceptés au sein de la communauté. Ce n’est pas une question de loi : les Christianites n’en reconnaissent aucune. C’est plutôt une affaire de « vibrations » que Per et Vibeke, deux figures historiques de la communauté résument ainsi : « Nos lois, même si personne ne songerait ici à en faire un code, sont très strictes à ce sujet. On ne vend aucune drogue dure à Christiania parce que cela pourrit l’atmosphère. Les bouffées délirantes des toxicomanes, les vols, les cambriolages, les agressions tout ça crée des mauvaises vibrations qui perturbent l’esprit de la communauté."
Sans aucune violence, les résidents impliqués dans le trafic sont expulsés de la communauté. Les consommateurs de drogues dures sont convaincus de se sevrer. Le Tribunal populaire de Christiania obtient de biens meilleurs résultats que les autorités danoises, la police et les services sociaux pour empêcher les trafiquants de proliférer. La victoire des « hippies et des filles à yoga » sur les dealers est si nette que les trafiquants vont attendre presque 40 ans avant de tenter un nouveau coup de force auquel les Christianites répondent avec la même détermination. En 2016, après des semaines de tensions, les vendeurs de haschisch acceptent de limiter leurs activités à « Pusher Street » un morceau de rue et à quelques maisons qui leur sont concédés à l’entrée de Christiania. La Cité Libre expérimente ainsi une forme de légalisation du commerce de drogues douces, extrêmement encadrée. Les dealers s’engagent à ne pas vendre leurs produits aux mineurs et à ne pas les impliquer dans leur commerce.
Selon les termes de l’accord de 2011, l’État reconnait officiellement la Cité Libre, une démocratie directe, non élective. Toutes les décisions doivent être acceptées à l’unanimité pour être appliquées.
En contrepartie de cette reconnaissance, Christiania achète terrains et bâtiments qu’elle squatte depuis 1971. Pour rembourser ses énormes emprunts bancaires, garantis par l’État, la communauté est obligée de collecter les contributions de ses 900 membres, calculées selon le nombre de mètres carrés occupés. « Des loyers dans la capitale mondiale du squat ! ». « Certains ont vu dans l’accord de 2011, le début de la fossilisation de notre expérience, reconnait Allan Borne. Allons-nous préserver notre capacité à inventer, à laisser penser qu’il existe d’autres chemins, d’autres voies, d’autres urgences ? »
Alors certains des habitants de Christiania ont commencé à manifester leur indépendance, en s'installant à l'écart, mais toujours au coeur de la Cité Libre, avec la volonté de revenir à ce qui faisait l'esprit de Christiania au départ.
Jean-Marie Hosatte est journaliste photographe, il a sillonné de nombreux pays du monde et a rapporté dans son appareil photo des histoires passionnantes qu'il vient partager avec nous dans cette série d'émissions.
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