L'intelligence, la douleur, le langage, l'émotion... Depuis l'Antiquité grecque, on a définit ces termes à partir de l'être humain, placé au sommet de la hiérarchie du vivant. Pour l'historien Éric Baratay, il "faut désanthropiser l'animal" et sortir de cette vision pyramidale où l’on applique aux animaux des concepts humains.
"C’est devenu un thème de société, maintenant, les animaux", remarque Éric Baratay. Il y aurait 8 millions d’espèces animales vivantes sur terre, 6,5 millions sur la terre ferme, et on en découvre encore... En plus, la plupart des espèces sont des invertébrés : des espèces particulièrement éloignés de nous. Bref, on ne peut plus réfléchir sur les animaux comme on le faisait autrefois - on devrait déjà parler des animaux au pluriel...
Chercheur infatigable, spécialiste de l’histoire des relations hommes-animaux, Éric Baratay a dirigé l’ouvrage paru en octobre dernier "L'animal désanthropisé - Interroger et redéfinir les concepts" (éd. De La Sorbonne). C’est le fruit d’un travail collectif interdisciplinaire - "extrêmement rare" se réjouit l’historien - d’une trentaine de chercheurs de toutes disciplines : écologues, généticiens, sociologues, géographes, historiens, etc. Leur but : mieux réfléchir sur les animaux à partir de cas très concrets. Et produire de nouveaux concepts, plus adaptés à la réalité de la diversité et de la grande complexité du règne animal.
À trop simplifier l’équation : humain d’un côté, animal de l’autre, "on tombe dans des visions trop réductrices, trop dogmatiques envers les animaux", estime l'historien. Et cela masque la réalité des choses. C’est d'ailleurs le premier objectif du livre dirigé par Éric Baratay : montrer que les animaux sont des êtres trop complexes pour nos concepts actuels. Par exemple, la notion d’animal domestique ou d’animal sauvage est bien plus difficile à comprendre et analyser qu’on le croit.
"Dans la philosophie, dans la théologie, dans l’histoire du christianisme, l’animal est selon les cas l’exemple qu’il faudrait suivre ou l’exemple qu’il ne faudrait pas suivre." Ainsi le best-seller de saint François de Sales, "Introduction à la vie dévote" (1609), présente-t-il à chaque fois un animal comme un exemple à suivre ou un contre-exemple à éviter. Certes, "le but est de pouvoir se servir des animaux pour des leçons de morale envers les humains", comme le souligne l'historien. Reste que ce texte montre combien on s’est contentés de "visions schématiques simplifiées" de l’animal. L’instinct ou la pulsion biologique sont par exemple des notions "qui n’expliquaient rien mais qui permettaient de dire que l’animal n’a pas les capacités de l’homme et que l’homme est au-dessus".
"Si l’intelligence c’est de faire des maths et de lire Proust et d’écouter Bach, on peut dire qu’il n’y a pas d’animaux intelligents !" Quand il dit qu’il "faut désanthropiser le terme animal", Éric Baratay veut dire qu’il faut sortir de cette logique où l’on applique aux animaux des concepts humains. Et trouver de nouvelles définition du langage, de la conscience, de l’émotion. D'ailleurs, pour les éthologues, l’intelligence c’est la capacité d’un individu à s’adapter à des environnements changeants. "Avec cette définition qui est très large, on peut dire que la plupart des espèces sont intelligentes, à leur manière", observe Éric Baratay.
Or, notre vision occidentale est depuis l’Antiquité grecque "enkystée" par une vision pyramidale du vivant, où l’homme est placé au sommet. Vision que les disciplines du savoir comme la philosophie, la science et la théologie ont entretenue. "Il est normal d’avoir défini l’intelligence selon l’humain puisqu’on pense que c’est l’humain qui incarne le mieux l’intelligence, le langage, l’émotion, la douleur, la souffrance, etc." Depuis Platon et Aristote, on a ainsi la conviction qu’il y a une hiérarchie chez les animaux, hiérarchie que l’on a appliquée à l’humanité, avec les conséquences terribles que l’on sait.
Suivez l’actualité nationale et régionale chaque jour
RCF est une radio associative et professionnelle.
Pour préserver la qualité de ses programmes et son indépendance, RCF compte sur la mobilisation de tous ses auditeurs. Vous aussi participez à son financement !