Elle est auteur de BD, illustratrice pour divers journaux et même pour le New York Times, mais il fallait y ajouter quelque chose, un premier roman, il fallait utiliser aussi les mots pour raconter le monde agricole, et nous voici par la fiction au cœur de l’actualité de ces derniers jours.
Dans un court roman pastel, Marion Fayolle, originaire de l’Ardèche, dépeint la vie d’une ferme familiale, d’il y a peut-être quelques années et encore : les générations vivent ensemble, avec la seule préoccupation les bêtes qu’il faut soigner, l’exploitation qu’il faut tenir à bout de bras, et la vie de chacun organisée dans l’intérêt de tous. C’est une chance, peut-être, de faire partie du clan. C’est pesant aussi, toutes ces histoires familiales. C’est « la gamine » qui raconte, elle nous entraîne dans la cour de ferme, au centre de ce petit monde : « C’est pas toujours facile d’avoir en soi autant d’histoires, autant de gens , de réussir à les faire taire pour inventer encore une petite chose à soi. »
Vous ne croyez quand même pas qu’on fait ce qu’on veut, pas du tout… Il n’y a malheureusement pas de répit : « Ils s’imaginent partir en vacances, ils n’ont jamais vu la mer. L’été, avec les foins, avec les bêtes, c’est pas possible d’aller sur la côte, même quelques jours. Et puis, qu’est-ce qu’ils iraient y faire ? » Il a beau y avoir plusieurs générations, il y a du travail pour tous : « Même le dimanche quand on a des bêtes il faut s’en occuper. Ca meugle, ça appelle son petit, ça se déchaîne, c’est l’heure d’ouvrir les grilles. » Bon, faut pas non plus caricaturer, mais la réalité est tenace. Alors, que faire ? Les enfants font des études, ils parlent anglais, espagnol, et veulent voyager… Comment ne pas s’inquiéter ? Et même s’ils reprennent la ferme, « Ils n’auront pas de bêtes. Les bêtes, ils le savent, ça emprisonne. Regardez les parents, ils ne peuvent pas bouger, il faut qu’ils soient là chaque matin, chaque soir, pour nourrir les vaches, les poules, les chiens et les chats. Même les week-end. »
C’est comment l’avenir ? « Ils imaginent une vie à eux, qui ne serait pas celle des parents, qu’ils auraient réussi à inventer tout seuls. » Marion Fayolle pose bien la question, avec délicatesse et finesse, rien de grave en dépit du sujet, plutôt une sorte d’hommage, par petites touches, à ce monde paysan qui nous tient tous à coeur. Je ne me risquerai pas à ouvrir le dossier de la crise agricole, mais on a compris aussi que la transmission des terres et des fermes était une des questions à aborder. Il y faut les moyens, il y faut l’envie : « Les parents craignent qu’un jour les gosses ne reviennent pas, qu’aucun d’entre eux ne reprenne la ferme, qu’ils s’en aillent tous, qu’ils descendent vivre dans les vallées, qu’ils se disputent, qu’ils divorcent, que la famille se brise comme se brise la roche. » Rien à faire : la ferme, c’est toute leur enfance, mais ce n’est pas forcément leur avenir. Alors, il faut s’incliner : « Heureusement que le pépé n’est plus là pour voir ça. Heureusement qu’il ne saura jamais que ses petits-enfants sont tous partis travailler en ville, qu’ils ont été capables de lui faire ça. Ne pas reprendre la ferme. Ne pas continuer l’histoire. Refuser d’hériter des bêtes et de la vie qui va avec. S’il n’était pas mort, ça l’aurait tué. » Heureusement, dans la vraie vie, tout ne se termine pas avec une étable désertée. il y a aussi de belles histoires.
Du même bois, de Marion Fayolle, est publié chez Gallimard.
Chaque jeudi à 8h44, Christophe Henning (La Croix) et Christophe Mory (RCF et Radio Notre-Dame) présentent le livre de la semaine.
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