Il est l'ami des Kogis depuis 34 ans. Éric Julien est étroitement lié à ce peuple amérindien de Colombie qui lui a sauvé la vie. Mais ce peuple reste pour lui mystère, surtout ses chamanes. Formés pendant 18 ans dans le noir, les sens exacerbés, ils sont détenteurs d'un savoir exceptionnel sur la terre. Et ont tant de choses à nous apprendre en matière d'écologie.
Le "petit repli de territoire" où vit Éric Julien dans la Drôme ne ressemble en rien à la terre des Kogis, la Sierra Nevada de Santa Marta, en Colombie. Il y a 34 ans, ce peuple autochtone lui a sauvé la vie. Victime d’un œdème pulmonaire à 5000 mètres d’altitude lors d’une expédition, le géographe n'aurait pas survécu sans eux. Depuis, Éric Julien est devenu le spécialiste, l’ambassadeur, l'ami des Kogis.
C'est pour les remercier qu'Éric Julien a fondé l’association Tchendukua il y a 25 ans. Une association qui rachète pour eux les terres des Kogis. En 70 ans, ce peuple a perdu 80% de son territoire, pillé par des paramilitaires, des pilleurs de tombes, des exploitants de bois précieux ou encore des narcotrafiquants... À ce jour, 2386 hectares ont pu être récupérés, dont 1800 dans une seule même vallée, celle où vivaient des peuples précolombiens. "C’est un cas unique au monde où des Indiens héritiers d’une grande tradition précolombienne reviennent sur les ruines de leurs ancêtres. C'est toute une démarche de réveil et de soin et de résilience des territoires, et ça c’est complètement fascinant !"
L’émission "Rendez-vous en Terre inconnue" avec Thomas Pesquet en 2018, a fait connaître les Kogis en France. Ces hommes en tenue blanche peuvent nous sembler étranges. C’est surtout un peuple qui a une culture extraordinaire. Les Kogis vivent dans le nord de la Colombie sur un territoire montagneux, qui est sans doute "le plus gros hotspot de biodiversité au monde", précise Éric Julien.
Ils seraient 25 à 30000 Kogis dans ces montagnes. Éric Julien les appelle "des humains racines" : "Ils sont encore en responsabilité du lieu où ils vivent, ce ne sont pas des racines qui immobilisent mais des racines qui invitent à la responsabilité, ce qui n’est pas pareil !" Persécutés pendant des siècles, les Kogis sont restés pacifiques, profondément spirituels. Et ils ont un grand désir de dialoguer avec les Occidentaux. "C’est ce qui est à la fois fascinant et touchant, pour Éric Julien, peut-être même très émouvant !"
Malgré tout ce qu’ils subissent aujourd’hui, "ils sont encore en train de nous dire : si vous êtes d’accord, peut-être qu’on pourrait dialoguer, parce qu’avec tout ce que vous savez et tout ce que nous savons, si on avait un vrai dialogue on pourrait trouver des réponses aux grands enjeux de notre temps" ! Pour Éric Julien, les Kogis nous enseignent non seulement à être reliés à la nature mais aussi à vivre ensemble en paix.
Depuis quelques années ce sont les Kogis eux-mêmes qui apportent leurs connaissances, via l’association Tchendukua. En 2018, trois chamanes kogis (deux hommes et une femme) sont venus en France faire un diagnostic du territoire du Haut-Diois, dans la Drôme. Une rencontre qu’Éric Julien raconte dans son livre "Kogis, le chemin des pierres qui parlent - Dialogues entre chamans et scientifiques" (éd. Actes Sud, 2022).
Les chamanes kogis ont confronté leurs observations à celles de 25 scientifiques occidentaux – anthropologue, climatologue, naturaliste, biologiste, astrophysicien, médecin, géographe, etc. "Ils nous ont appris sur nos territoires des choses absolument hallucinantes que même les scientifiques ne connaissaient pas !" Il n’a pas fallu beaucoup de temps aux chamanes, qui n’étaient jamais venus en France, pour voir ou sentir que les pins noirs plantés là au XIXe siècle étaient "égoïstes". Ces pins d’Autriche, qui ne sont pas des plantes endémiques, acidifient les sols et contribuent au déséquilibre de la région...
Même à Éric Julien qui les connaît bien, les chamanes Kogis restent mystérieux. On sait qu’ils passent 18 ans dans le noir en guise de formation, comme pour prolonger la vie du fœtus dans le ventre maternel. "Privés de la vision, ils sur exacerbent leurs sens et leur capacité à percevoir peut-être un champ magnétique, peut-être la radioactivité naturelle... Je ne sais pas, c’est un mystère, ils disent entendre des sortes de crépitements."
Les Kogis conçoivent le monde et la terre comme un corps humain, avec ses énergies et ses fluides. "Comme il y a l’acuponcture pour le corps humain, on peut avoir des points où la terre vous parle, vous informe sur sa santé." L’objectif de cette rencontre entre scientifiques occidentaux et chamanes kogis était de vérifier si l'expertise de ces derniers était valable en dehors de leur vallée colombienne. La réponse est oui. Leurs sens exacerbés nous ont fait voir combien nous, en revanche, nous les avions perdus.
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