Magda Hollander-Lafon est morte dimanche 26 novembre à l’âge de 96 ans. Elle était l'une des rares survivantes de la déportation de plus de 430.000 Juifs hongrois dans le camp d'Auschwitz-Birkenau. Elle avait 16 ans en 1944 et pendant un an, sa vie a basculé dans l'horreur des camps de la mort. Il lui a fallu plus de trente années avant de pouvoir en parler. Dans ses livres, auprès de milliers de collégiens et de lycéens, elle a donné un témoignage saisissant de force et d'humilité. Ses obsèques ont eu lieu à Rennes ce vendredi 1er décembre.
Pour rendre hommage à Magda Hollander-Lafon, RCF vous propose de retrouver son interview dans l'émission Visages, enregistrée en mars 2012, à l'occasion de la parution de son livre "Quatre petits bouts de pain - Des ténèbres à la joie" (éd. Albin Michel).
Pendant plus de 30 ans, Magda Hollander-Lafon n’a pas pu dire ce qu’elle avait vécu. " J’avais en moi une telle haine du mal, une telle haine de l’injustice, que je ne m’autorisais pas la parole." En 1978, elle a lu l’interview de l’ancien commissaire général aux questions juives du régime de Vichy, Louis Darquier de Pellepoix. Il disait dans L’Express : "Je vais vous dire moi ce qui s’est exactement passé à Auschwitz. On a gazé, oui c’est vrai mais on a gazé les poux."
Quand Magda Hollander-Lafon a eu connaissance de ces propos, sa "haine est revenue". Mais peu après, elle a fait ce rêve étrange d'un souvenir d'Auschwitz. "J’avais en face de moi un squelette, une femme... qui disait de venir vers elle. Elle m’a regardée avec un regard d’au-delà. Elle m’a dit : Tu vois, tu es jeune, tu dois vivre pour dire au monde ce qui se passe ici. Pour que ça n’arrive plus jamais au monde. Elle n’a pas dit : Plus jamais aux Juifs, elle a dit : Plus jamais au monde. Et je me suis dit : Mais elle est folle !"
Cette femme, poursuit Magda Hollander-Lafon, avait dans sa main "quatre petits pains moisis déjà qu’elle ne pouvait pas manger. Elle m’a dit : Prends, prends-les, mange-les, tu dois vivre. Je l’ai regardée en disant : Ici on meurt ! Elle m’a répondu : Tu vas vivre ! Mais je n’ai pas bien compris et j’ai senti qu’en même temps elle me chargeait d’un poids immense... J’ai mangé le pain devant elle et elle m’a regardée manger. Elle avait un regard de bonté qui m’a touchée… Ce geste gratuit de vie… Elle m’a donné là, la vie." Après avoir fait ce rêve, Magda Hollander-Lafon a décidé de témoigner.
Elle aura rencontré au cours de sa vie des dizaines de milliers de jeunes, auprès de qui elle a témoigné, dans les collèges et les lycées. "Que ferais-tu si tu rencontrais un nazi ?" lui demandé un jour l'un d'eux. "Je ne sais pas, a répondu Magda Hollander-Lafon, humblement je peux vous dire qu’avec tout le travail intérieur que j’ai fait, j’espère que je me conduirai humainement. Mais je n’en sais rien. C’est la part immense inconnue de nous."
Entre le 15 mai et le 9 juillet 1944, les nazis aidés par des collaborateurs hongrois ont déporté 437.403 Juifs hongrois. Fin mai 1944 la jeune Magda a été entassée dans un wagon à bestiaux avec sa mère et sa sœur. Elle avait 16 ans. "J’arrivais à Birkenau sur les quais, là-bas. Mengele [Josef Mengele, médecin dans le camp d'extermination d'Auschwitz, ndlr] m’a demandé quel âge j’avais. Les anciens qui étaient là-bas murmuraient : Tu as dix-huit ans, tu as dix-huit ans." L'adolescente a été séparée de sa mère et de sa sœur, qui ont été aussitôt envoyées dans les chambres à gaz.
Quand vous reconnaissez que vous êtes en capacité de haïr et que vous en avez conscience, vous pouvez la canaliser, vous pouvez lui donner sens. J’ai cette haine en moi. J’ai cette formidable blessure d’injustice
De manière déroutante, Magda Hollander-Lafon affirmait que c’était "la haine" lui avait permis de survivre dans les camps. "Vous savez, expliquait-elle, si vous êtes en mesure de haïr, je me dis aujourd’hui c’est que vous êtes en mesure d’aimer parce que la haine est existentielle… Et quand vous reconnaissez que vous êtes en capacité de haïr et que vous en avez conscience, vous pouvez la canaliser, vous pouvez lui donner sens. J’ai cette haine en moi. J’ai cette formidable blessure d’injustice."
Comment Magda Hollander-Lafon est-elle passée "des ténèbres à la joie" comme le dit le sous-titre de son livre ? "C’est un grand travail intérieur et c’est une constante remise en question de mon agir." Il lui a fallu du temps pour être "libérée intérieurement" des camps et de cette haine. Et puis elle avait "un compte à régler avec Dieu". "L’amour, ça me sortait par les yeux, tout le monde en parlait trop et je ne savais pas ce que c’était. On me parlait aussi beaucoup de Dieu, je me disais : Ils sont en train de se convaincre de son existence..."
En Belgique, après la libération, Magda Hollander-Lafon a rencontré une femme qui portait une croix. "Cette femme avait un vrai sourire, une vraie bonté et une présence. Je me dis : Ça existe encore ! Un jour je lui ai demandé la signification de sa croix, parce que dans mon pays, on avait peur de cette croix." Cette femme lui a tendu un livre, le Nouveau Testament. En l’ouvrant au hasard, Magda Hollander-Lafon est tombée sur un verset qui faisait écho à ce qu'elle avait vécu dans les camps : "Car j’avais faim, et vous m’avez donné à manger ; j’avais soif, et vous m’avez donné à boire…" (Mt 25, 35)
Issue d’une famille juive non pratiquante mais "imprégnée" de culture juive, Magda Hollander-Lafon s’est laissée petit à petit interpeller par le message de Jésus. "À partir de ce moment-là mes questionnements ont commencé sur lui.... Il y a des passages et des mots qui m’ont touchée, qui sont allés très loin en moi et m’ont travaillée intérieurement." Magda Hollander-Lafon disait que l'amour avait une telle dimension spirituelle qu’elle ne pouvait "même pas prononcer" ce mot. "Je suis juive chrétienne", disait la survivante d'Auschwitz, qui est restée longtemps engagée au sein de l'Amitié judéo-chrétienne.
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