Il y a plus d'une semaine que Philippe Pozzo di Borgo s'est éteint. Pour rendre hommage à cet homme dont le témoignage a bouleversé des milliers de personnes, RCF vous propose de réentendre son interview réalisée après la sortie du film "Intouchables", en 2011. Un film qui était à son image, plein d'humour et d'émotion.
Philippe Pozzo di Borgo est décédé ce jeudi 1er juin à l'âge de 72 ans, 30 ans après le grave accident qui l'a laissé tétraplégique. Son témoignage plein de courage et de résilience a ému des milliers de personnes. Le film "Intouchables", sur son amitié avec son aide de vie Abdel, était à son image, plein d'humour et d'émotion. Thierry Lyonnet avait interviewé Philippe Pozzo di Borgo à la sortie du film.
Le 23 juin 1993, alors qu’il avait 42 ans, la vie de ce riche héritier d’une grande famille aristocratique française, directeur de la maison de vin de Champagne Pommery, du groupe LVMH, a basculé. Un ami chirurgien était là : Philippe Pozzo di Borgo a "tout de suite su" qu’il serait tétraplégique. "Qu’est-ce que je suis un imbécile !" s’est-il dit. Il a tout de suite demandé à ce que sa femme Béatrice soit prévenue : "Vous lui dites de ne pas s’agiter et que tout va bien !"
S’en est suivi une période de trois mois de coma, où sa femme est venue tous les jours le voir et lui parler, même si les médecins lui disaient que ça ne sert à rien… Même dix-huit ans après, quand il en parlait, la voix de Philippe Pozzo di Borgo s’étranglait d'émotion. C’est que Béatrice luttait alors contre un cancer. Elle est morte trois ans après l’accident. "Elle, la crucifiée, m’a ressuscité", disait Philippe Pozzo di Borgo.
C’est à 20 ans que Philippe Pozzo di Borgo a rencontré Béatrice Roche, fille de préfet, protestante, très croyante. À l’entendre parler de sa femme, on comprend tout de suite combien Béatrice a compté dans la vie de cet homme révolté. Philippe Pozzo di Borgo est né comme on dit avec une cuillère en argent dans la bouche – lui disait "le cul bordé de spaghettis". Membre d’une grande famille aristocratique, il a été très jeune éduqué dans la conscience du devoir qu’impliquent les privilèges. Son père en particulier "avait une rigueur morale et chrétienne très évidente".
Quand il a appris le cancer de sa femme, Philippe Pozzo di Borgo a réagi "très mal et stupidement", selon ses mots, "comme beaucoup" devant "la peur panique de la maladie et la mort prévisible, annoncée". "J’ai réagi de manière très égoïste, j’ai lâchement lâché la main de Béatrice, pendant six mois j’ai eu des égarements." Est-ce pour cela qu’il s’est remis au parapente ? "C’était lié à beaucoup de choses", dit-il. Notamment les centaines de licenciements chez Pommery, que le dirigeant a dû "gérer". "Ça m’a traumatisé, c’était contre mon éthique, ma famille était dans ce groupe depuis des générations, c’était tabou, interdit !" Cette "crise sociale épouvantable" et la "brutalité du monde des affaires" ont hanté les cauchemars que Philippe Pozzo di Borgo faisait au cours de la période douloureuse qui a suivi sa sortie du coma.
Jusqu’au bout, et même longtemps après la mort de Béatrice, Philippe Pozzo di Borgo est resté admiratif de la foi de sa femme Béatrice. "Si j’avais une foi, et nous avons beaucoup prié ensemble, c’était par l’intercession de Béatrice, ça ne passait que par Béatrice…" Un couple soudé malgré les épreuves, tourné vers les autres. "C’était naturel chez Béatrice et chez moi : l’un vers l’autre et tous les deux vers les autres."
Après son accident puis la mort de sa femme, Philippe Pozzo di Borgo a connu l’épreuve de la dépression. C’est grâce à son amitié avec son aide de vie, Abdel Yasmin Sellou, qu’il a pu reprendre goût à la vie. Cette amitié, il l’a racontée dans "Le Second souffle" (éd. Bayard, 2001), un récit plein d’émotions et d’humour, à son image. C'est celui qui a inspiré Olivier Nakache et Éric Toledano, les réalisateurs du film "Intouchables", avec Omar Sy et François Cluzet. Un succès immense. "Ça me touche que quelqu’un ait trouvé qu’il y avait quelque chose à faire de cette histoire avec mon aide de vie Abdel, disait Philippe Pozzo di Borgo, et qu’ils l’aient traité avec l’humour qu’il fallait, et une certaine légèreté mais beaucoup d’émotion et de sensibilité."
Pour Philippe Pozzo di Borgo, qui a connu de nombreuses épreuves, il fallait trouver le ton juste pour parler de son histoire - il a refusé les demandes d'adaptation de son livre de deux autres cinéastes connus - et pour parler "des handicaps des uns et des autres". "Parce qu’il y a mon handicap physique bien sûr, qui est très visible, mais le handicap d’Abdel qui est celui de l’exclusion sociale test tout aussi douloureux, donc il faut le traiter avec respect et délicatesse."
Remarié, installé à Essaouira, au Maroc, Philippe Pozzo Di Borgo a publié en 2022 avec Geneviève Jurgensen, "Le Promeneur immobile" (éd. Albin Michel). Il évoquait la nécessaire attention aux plus fragiles, son désir d’une société plus fraternelle. En décembre dernier, il a pris part au débat sur la fin de vie. Parrain du collectif "Soulager mais pas tuer", il a publié dans le journal Ouest-France la tribune "Aidons-nous à vivre, pas à mourir".
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