Le guitariste américain Jontavious Willis s’est rendu à la maison d’arrêt de Coutances le mardi 16 mai avant sa performance au festival Jazz sous les pommiers. Quelques heures avant de monter sur scène devant plus de 1200 spectateurs, il a joué pour un groupe très réduit de détenus dans une ambiance intimiste. Un moment qui dépasse la musique et qui revêt un aspect social essentiel. Récit de cette après-midi.
Il est 14 h 30 quand je suis autorisé à entrer dans la maison d’arrêt de Coutances. Une surveillante sera ma guide tout au long de l’après-midi. L’ouverture de portes verrouillées s’enchaîne rapidement et on nous conduit dans un dédale de couloirs. La décoration colorée des murs, habillés d’un adorable panda, tranche avec l’austérité et la lourdeur des portes sécurisées. Nous arrivons dans la pièce qui sera pour aujourd’hui une salle de concert. La pièce, d'un orange vif, fait une soixantaine de mètres carrés. Dans la pièce, on retrouve l’équipe de Jazz sous les pommiers et surtout la star du jour : Jontavious Willis. Guitare à la main, il fait les cent pas. Je m’approche pour discuter et il m’avoue qu’il n’avait pas vraiment compris qu’il jouerait dans une prison en venant au festival coutançais. Ici, dans le pénitencier de Coutances, ce sera le tout premier concert de sa vie en France. C’est aussi pour lui, une première dans une prison. La situation ne lui fait pas peur : « Ma mère travaillait dans une prison donc j’en ai vu quelques-unes, je n’ai aucun problème à jouer ici. » Il ajoute : « Entre le concert de ce soir (devant 1 200 personnes, NDLR) et celui-ci, je ne sais pas lequel me rend le plus nerveux ».
Un concert intime
Les détenus commencent à entrer, accompagnés par les surveillants. Ils sont 15 hommes de tout âge à assister au concert. Les accords de guitare commencent à résonner dans la pièce. Jontavious Willis nous offre un répertoire blues qui mêle des vieux classiques de l'État de Géorgie, dont il est originaire, et des créations de sa propre plume. C’est au final un moment intime, presque exclusif que les détenus vivent. Si les pensionnaires des lieux applaudissent chaleureusement à chaque fin de morceau, les têtes qui balancent ou les pieds qui tapent le sol en rythme sont timides dans un premier temps. Rapidement, la musique prend le dessus et certains se laissent aller à plus de démonstration. On entend même des rires lorsque le musicien demande aux publics d’imiter le « tchou-tchou » d’un train, que tous feront de bon cœur. Les musiques s’enchaînent, la sueur commence à perler sur le front du guitariste qui se donne à fond pour son public. Une sorte de communion s’opère, on en oublierait presque où nous sommes.
La joie sur les visages
Le concert se termine au bout d’une bonne heure, sous les applaudissements et les sifflets des détenus qui affichent un grand sourire. Un temps de questions-réponses se met en place. En partant, l’un des spectateurs crie : « Vous êtes notre rayon de soleil aujourd’hui », l’artiste est touché. Avant qu’ils ne partent tous, un prisonnier me dit : « Ça fait du bien d’écouter de la musique, surtout qu’il n’y en a pas beaucoup en cellule ». Un autre ajoute : « Ça fait du bien moralement, ça fait des palpitations. Sa voix permet d'apaiser un peu les choses ». Il raconte qu’il n’était pas un grand fan de blues au départ, mais qu’il a découvert cette musique et qu’il suivrait la carrière de Jontavious. Avant de partir, l’interprète américain réagit à sa prestation : « Oh mec c’était génial ! Les participants, les interactions, j’ai adoré voir leur visage et pouvoir discuter avec eux après… C’était encore mieux ». Le concert à la maison d’arrêt est un succès pour tout le monde.
La culture contre la récidive
La directrice pénitentiaire d’insertion et de probation de l’antenne de Coutances, Maïlyss Cazer, a assisté au concert. Elle décrit l’importance d’offrir des moments culturels similaires à l’extérieur : « On sait que ce genre d’activités participe à la sortie de la délinquance ». L’art comme échappatoire à la récidive, c’est pour ça qu’elle et son service proposent toute l’année des activités allant de la photographie au cinéma. Lucie Richard, conseillère du même service, ajoute que l'enjeu est de « vulgariser la culture parce que parfois, on peut en avoir une idée un peu élitiste ». Si ce concert a pu avoir lieu, c’est aussi avec la collaboration du festival Jazz sous les pommiers, représenté ici par Marie-Laure Scaramuzzino, chargée de médiation et de relation avec les publics. Le festival est investi d’une mission, explique-t-elle : « À Jazz sous les pommiers, ça nous tient à cœur de toucher le plus de personnes possible et d’en amener davantage à la musique. Et donc pour nous, c’est normal d’aller à la maison d’arrêt de Coutances. Ce sont des habitants coutançais. »
Nous avons tous été raccompagnés à la sortie. Jontavious Willis se permet un trait d’humour en criant : « Out of jail ! [Enfin dehors !] ». Le soir-même, il jouait devant 1 200 personnes à la salle Marcel-Hélie de Coutances.
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