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La poésie

RCF Rennes, le 2 octobre 2023 - Modifié le 3 octobre 2023

La poésie est partout si l’on sait l’entendre et la voir mais on la retrouve surtout dans les livres. Si nombre d’entre nous ont dû apprendre par coeur les vers d’Arthur Rimbaud, d'Apollinaire ou de Verlaine, pour lesquels notre amour des mots est puissant, nous avons choisi de vous présenter des ouvrages récents car, oui, la poésie existe encore, en romans, en recueils, et en chansons.

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Les ombres blanches de Dominique Fortier chez Grasset 5/5

Les ombres blanches (Fortier - Grasset)

  Emily Dickinson aurait pu ne jamais être pour nous qu’un nom étranger. Celui d’une femme, américaine, moins connue pour son talent littéraire que pour avoir passé la majeure partie de sa vie confinée chez elle. Puisqu’elle s’était toujours farouchement refusée à voir ses écrits publiés, rares sont ceux qui savaient, de son vivant (1830-1886), qu’Emily était aussi une formidable poète. Peu avant son décès, elle demande à sa sœur Lavinia de brûler tous ses papiers personnels. Mais lorsque cette dernière découvre dans sa chambre des centaines de poèmes renversant de beauté, griffonnés sur des morceaux d’enveloppes ou d’emballages, elle est à la fois sidérée et incapable de lui obéir. Jusqu’où la volonté des morts peut-elle changer l’existence des vivants  ?   Ne pas les suivre, est-ce les trahir  ? Et si les mots pouvaient faire revivre les disparus  – et celles et ceux qui leur survivent  ? Lavinia choisit la vie. Et décide de confier ces poèmes à deux femmes autrement endeuillées, d’abord sa belle-sœur, Susan, épouse de son frère, puis Mabel, maîtresse de ce dernier, pour qu’elles l’aident à les faire publier. Une ultime complice leur prêtera main-forte : Millicent, fille de Mabel, qui grâce à sa malice se révélera la plus juste lectrice de la «  dame en blanc  ». Tour à tour on les suit, Lavinia, Susan, Mabel et Millicent, dans une narration où surgit par endroits le je de l’auteure se joignant à elle pour les accompagner.

Emily Dickinson est une poétesse américaine du 19ème siècle qui vécut introvertie et recluse à Amherst, en plein centre du Massachusetts, un état au nord de New-York. Bien qu’elle ait écrit presque mille huit cents poèmes, moins d’une douzaine ont été publiés de son vivant. L’étendue de son œuvre n'est connue qu’après sa mort, en 1886, quand Lavinia, sa plus jeune sœur, découvre leur cachette. Malgré des critiques défavorables et un grand scepticisme vis-à-vis de ses capacités littéraires de la fin du XIXe siècle au début du XXe siècle, les critiques anglo-saxons considèrent à présent Emily Dickinson comme une poétesse américaine majeure.
Dans ce roman, Les ombres blanches, nous suivons plusieurs personnages qui gravitaient autour d’Emily. D’abord sa jeune sœur Lavinia, qui avait reçu comme mot d’ordre de sa défunte aînée de brûler tous ses écrits mais qui ne se résout pas à détruire les vers retrouvés dans sa chambre. Ensuite, sa belle soeur Susan, épouse de son frère ainsi que Mabel, l’amante de ce dernier, qui aura la lourde tâche de décrypter et tenter de mettre en ordre l’oeuvre d’Emily afin qu’elle trouve grâce aux yeux des éditeurs, qui, s’ils ne nient pas le talent de la poétesse, semblent décontenancés par le manque de rigueur de ses écrits. Ses poèmes sont en effet uniques pour leur époque : ils sont constitués de vers très courts, n’ont pas de titres et utilisent fréquemment des rimes imparfaites et des majuscules ainsi qu'une ponctuation non-conventionnelle.
C’est donc une autre époque que l’on découvre dans ce très beau livre qui laisse parler la grâce et la beauté incandescente des mots d’Emily Dickinson mais aussi de son entourage. Car ce que Dominique Fortier nous raconte également, c’est  la puissance et l’obstination de ces femmes qui ont désobéi aux dernières volontés de la poétesse mais aussi à leur époque (entendez ; aux hommes qui les entouraient) afin que perdure la poésie. Après les Villes de Papier, prix Renaudot de l’essai et déjà consacré à Emily Dickinson, Dominique Fortier nous livre un roman lumineux et envoûtant, qui nous rappelle le pouvoir des mots et l’immortalité de la littérature. 

 



Une bête au paradis de Cécile Coulon chez L'iconoclaste 5/5

La vie d'Émilienne, c'est le Paradis. Cette ferme isolée, au bout d'un chemin sinueux. C'est là qu'elle élève seule, avec pour uniques ressources son courage et sa terre, ses deux petits-enfants, Blanche et Gabriel. Les saisons se suivent, ils grandissent. Jusqu'à ce que l'adolescence arrive et, avec elle, le premier amour de Blanche, celui qui dévaste tout sur son passage. Il s'appelle Alexandre. Leur couple se forge. Mais la passion que Blanche voue au Paradis la domine tout entière, quand Alexandre, dévoré par son ambition, veut partir en ville, réussir. Alors leurs mondes se déchirent. Et vient la vengeance.

Une bête au paradis (Coulon - L'iconoclaste / Livre de poche)

Remarquablement bien écrit, Une bête au paradis nous parle de l’attachement à la terre, à une terre, que l’on considère sienne et que rien ne nous ferait quitter, ni l’amour ni la haine. Mais aussi de la force des femmes, ici Emilienne et Blanche, que rien ne semble anéantir jusqu’à ce qu’une bête la transforme à moins que ce ne soit elle qui se transforme en bête. Et du poison de la vengeance que plus personne ne pourra soigner.
Construit en courts chapitres portant le nom d’un verbe (protéger, construire, surmonter, grandir, venger, surgir…), Une bête au paradis ne nous laisse guère le temps de respirer et nous enferme dans un huis clos où chaque émotion en balaie une autre jusqu’à la déflagration finale. Le talent et la sensibilité de Cécile Coulon sont immenses et ne laissent guère de doutes sur la longue carrière qui l’attend.

Les ronces de Cécile Coulon chez Castor Astral 

Les ronces (Coulon - Castor Astral)

Les ronces convoquent le souvenir de mollets grifés, de vêtements déchirés, mais aussi des mûres, qu’on cueille avec ses parents dans la lumière d’une fn de journée d’été, alors que la rentrée scolaire, littéraire, approche.

Entre les caresses et les crocs, Les Ronces de Cécile Coulon nous tendent la main pour nous emmener balader du côté de chez Raymond Carver. Sur ces chemins, elle croise des vendeurs de pantoufles, des chiens longilignes, un inconnu qui offre une portion de frites parce qu’il reconnaît une romancière…

La poésie de Cécile Coulon est une poésie de l’enfance, du quotidien, de celles qui rappelle les failles et les lumières de chacun.

Le livre a reçu le Prix Apollinaire 2018 et le Prix Révélation poésie de la SGDL 2018. 

Dans Les ronces, la poétesse nous emmène sur les chemins de l’enfance, à force d’images et de souvenirs où l’on retrouve d’ailleurs un peu le goût de ce paradis convoqué dans son roman : on y lit la force et la beauté de la nature ainsi que ses représentations dans notre imaginaire. Et si l’on y trouve l’espoir et la lueur des possibles quand l’horizon se dévoile, l’on fait face également à notre quotidien comme une machine avilissante où les journées s'enchaînent sans que l’on ne les vivent vraiment. Il y a dans les mots de Cécile Coulon autant de questions que d’observations du monde qui nous entoure et des hommes qui l’habitent comme autant de ronces sur nos chemins. Des ronces qui peuvent certes piquer, faire peur mais aussi cacher des choses merveilleuses. Qualifié de narratif, chaque poème y raconte un moment souvent traversé d’une pensée qui l’accompagne, transportant l’émotion qu’elle convoque.

 



Le déversoir d'Arthur Teboul chez Seghers 

« Que trouverez-vous dans ce livre ? 98 poèmes minute.
Qu'est-ce qu'un poème minute ? C'est un poème instantané (comme une photographie ou une soupe), souvent en prose, écrit en un temps compté, entre cinq et sept minutes.
Écrit à toute vitesse pour subjuguer la conscience de soi et l'étourdir, afin de laisser libre cours à ce qui traverse l'esprit. C'est une divagation,
sans volonté, sans technique ni logique, hors de toute préoccupation esthétique et morale.
Si on ne se laisse pas intimider par cette langue de l'enfance et de l'inconnu, le réel s'offre dans une profondeur nouvelle. La vitalité du geste délivre une vérité.
Un poème minute est toujours vrai. D'une vérité, peut-être, qu'on ne voudrait pas connaître. D'une vérité qui nous rend – comme toutes les vérités, au fond – vulnérables. »

Entre poèmes en prose, visions et récits oniriques, les textes réunis ici sont de courtes pièces dont les mots, les émotions ou les pensées seraient les protagonistes, des voyages imaginaires débordant d'inventivité, de mystère, de vivacité, de drôlerie ou de beauté.

Le déversoir (Teboul - Seghers)

Arthur Teboul utilise ici le principe d’écriture automatique, une méthode qui consiste à écrire le plus rapidement possible, sans contrôle de la raison, ni préoccupations esthétique ou morale, voire sans aucun souci de cohérence grammaticale ou de respect du vocabulaire. Très utilisée par les adeptes du mouvement surréaliste, le chanteur, auteur et poéte en fait un usage régulier et nous livre ici 98 poèmes instantanés écrits entre 5 et 7 minutes. Bien que le format soit inhabituel, on y retrouve bien évidemment tout le talent et la prose qui faisaient déjà la beauté des textes de Feu! Chatterton. A lire aussi bien chez soi que dans les transports en commun, pour qui aime les mots et la musique qui les font résonner, Le déversoir est à lire et à relire avant de pourquoi pas, se lancer dans l’expérimentation d’un poème minute…

 



Programmation musicale :

Les bougies fondues, Francis Cabrel (A l'aube revenant, 2020)
Côte concorde, Feu! Chatterton (Ici le jour, 2015) 

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