Christophe Henning évoque, en partenariat avec le quotidien La Croix, "Les gens sont comme ça", de Philippe Delerm, paru aux éditions du Seuil.
Il est comme ça, Philippe Delerm. De trois fois rien, il fait deux ou trois pages. Il s’amuse de nos petites manies, de nos phrases toutes faites, il collectionne nos grigris et repère nos habitudes.
Philippe Delerm présente, en cette fin d’année, une nouvelle livraison de petites phrases insignifiantes qui surgissent au détour du conversation. De fait, nous parlons souvent sans y prêter attention, parfois pour ne rien dire, on s’exclame, on bavarde, on papote. Lui, il saisit au vol une phrase définitive, une expression redondante, un tic de langage, il nous le fait entendre.
C’est en effet quelque chose qu’il a déjà fait, il a l’art de repérer nos tics de langage. On aurait pu croire qu’il avait épuisé le stock. Il a déjà joué les pourfendeurs de propos à l’emporte-pièce dans de précédents recueils. Tout a commencé en 2008, avec Ma grand-mère avait les mêmes, qui évoquait, selon lui, « les dessous affriolants des petites phrases ». Venait ensuite Je vais passer pour un vieux con et autres petites phrases qui en disent long, paru en 2012. Et encore Et vous avez eu beau temps ?, en 2018, qui soulignait « La perfidie ordinaires des petites phrases ».
Le nouveau recueil a l’ambition de collecter les « petites phrases métaphysiques » qui peuvent orner nos conversations. Qui n’a jamais dit « c’est ni fait ni à faire » ? ou encore « C’est que du bonheur ! » Au cours d’un dîner, félicitant l’hôtesse, c’est à qui montrera une certaine connivence, jusqu’à lui demander haut et fort « tu me donneras la recette ». Dans les échanges mondains, la personne qui s’immisce dans une conversation se le tient pour dit : « on parlait de tout et de rien, on refaisait le monde… » Et quand elle peut placer un mot, c’est encore pour surenchérir : « Ah oui, non mais moi… » On ne va plus oser dire quelque chose devant Philippe Delerm !
«Encore un peu de vin ?», « Je veux bien, avec le fromage. » Pourvu qu’il y en ait. Ce n’est pas seulement en société que les petites phrases se glissent. À un souci très ordinaire, on s’entend répondre « T’inquiète », formule plus récente, tout comme l’impératif qui voudrait que nous sortions de « notre zone de confort ». Quand ce n’est pas la machine elle-même qui se fait impérative : « ajouter au panier ». Loin du marché parcouru avec ledit panier, l’internaute se trouve contraint à alimenter son « panier », cette petite icône coincée dans un coin de l’écran.
Rien enfin ne vaut les tournures inutiles qui n’ont pour but que le plaisir de manier la langue – au mieux –, plus certainement un artifice pour garder la parole. Entre amis, on usera de « tu me diras que… » ou « je me dis parfois que… », mais il y a d’autres formules tout aussi efficaces dans le discours public : « Il est à noter que… », « Il faut savoir », ou « N’oublions pas que… » Et puis, si Philippe Delerm pointe ces petits travers langagiers, c’est avec son habituelle bienveillance et cet esprit espiègle de l’ancien prof. Ausculter les formules toutes faites ne peut que nous inviter à en sourire, à développer notre champ lexical : « Aah, je crois beaucoup à ça », pointe encore Philippe Delerm. Qui a beau jeu de se moquer des formules toutes faites, après avoir offert à ses lecteurs l’une des plus usitée : « Ah !, la première gorgée de bière… »
Chaque jeudi à 8h44, Christophe Henning (La Croix) et Christophe Mory (RCF et Radio Notre-Dame) présentent le livre de la semaine.
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