"Tout lucide que je sois, j'ai toujours pensé qu'il fallait non pas se soumettre mais se dresser." Alors que les éditions Gallimard publient un livre qui rassemble les trois recueils majeurs de Jean-Pierre Siméon, le poète vient d'écrire "Politique de la beauté" (éd. Cheyne). Des poèmes à lire d'urgence, à l’heure où la grande fatigue d’exister se répand : pour faire un pas de côté, s’arrêter et retrouver ses esprits.
Dans un monde où tout s’accélère, où nous échangeons par écran interposé des tweets, des SMS et des pictos, que reste-t-il de purement charnel et d’humain dans nos façons de vivre les uns avec les autres ? L'urgence poétique que décrit Jean-Pierre Siméon n'est pas que belles paroles vers lesquelles se tourner de temps en temps.
Ses mots nous connectent au réel et aux autres, et dans une France marquée par la peur de l'autre depuis les attentats terroristes, l'urgence poétique est de premier ordre. Car elle est aussi urgence politique, comme l'indique le titre de son ouvrage. "Je crois à une politique de la beauté, elle serait devant les êtres et les choses non pas seulement le mot juste, mais son frisson de feuillage sous l'averse, une loyauté de cœur."
Il y a chez Jean-Pierre Siméon l'idée que nous nous sommes isolés, coupés entre réel qui nous héberge et nous-même. "Je crois qu'on est des êtres déliés", convient-il. Sans doute "une avancée inévitable du progrès technologique, des grandes structures sociales"... Mais ce qui "révolte" le poète c'est tout "ce qui nous délie de nous-même et des autres". Et cette façon que l'on a, devant les nécessités quotidiennes", de mépriser "le possible de nous-mêmes".
Nous autres, êtres au cœur battant, fragiles et vivants, que devenons-nous alors que nous sommes pressés de toutes parts ? "Il y a toujours un possible : voilà ce que la poésie propose." Et ce qu'annonce Jean-Pierre Siméon, de façon prophétique. Car lire ses poèmes, c'est "reconquérir l'instant" que nous confisquent les sollicitations quotidiennes. C'est retrouver "la pure présence joyeuse, gourmande, extrêmement éveillée à tout ce qui est offert". Au lieu de ça, "on oublie le vrai sens de l'existence". Sommés de produire, de consommer, engloutissant notre énergie vitale dans une course effrénée qui nous épuise.
La fatalité est de ne pas voir "l'autre dans sa part la plus généreuse, l'autre paysage, l'autre visage, l'autre qui est la surprise et l'inconnu". Et "le danger c'est de rester fermé sur soi, sur son îlot de certitude et d'inquiétude et de ne jamais chercher ce qui nous ouvre, ce qui nous tire vers l'avant, ce qui nous fait faire un pas neuf".
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