Ce vendredi a marqué le début des grandes vacances pour 12 millions d'écoliers français. Le temps des copains, des baignades et du... bronzage ! Longtemps en Occident un teint hâlé a été synonyme de paysannerie et de classe sociale modeste tandis que l'aisance, la distinction et la pudeur étaient réservés aux élites préservées du travail à l'extérieur. Dans "L'invention du bronzage - Essai d'une histoire culturelle" (éd. Flammarion, 2018), Pascal Ory montre comment a été renversée en moins de 30 ans une conception ancestrale du teint, lié à un imaginaire profondément ancré dans les sociétés occidentales à peau blanche.
En 1863 dans le dictionnaire Littré on lit : "Bronzage : action de recouvrir un objet d’une couche imitant l’aspect du bronze." On était loin d'imaginer que ce serait un jour notre peau que l'on soumettrait au bronzage ! De fait, il faudra attendre... les années 1920 ! Au début XXe siècle, les femmes portaient encore un chapeau, des gants, une ombrelle, une voilette, parfois même une sur-voilette, précise Pascal Ory. Et aussi "on multiplie l'usage de crèmes et huiles pâlissants, blanchissants, etc., et on pourchasse les tâches de rousseurs, signes avant-coureurs qu'on glisse sur la mauvaise pente !"
C'est en France, "pays de l'élégance féminine" que tout a basculé à partir des années 20
Avoir la peau claire pour se distinguer d'une société rurale. Les sociétés occidentales à peau blanche ont valorisé surtout chez les femmes le fait de se protéger du soleil. "Et avec le christianisme s'est construit tout un système autour en particulier de l'image de la Vierge Marie, une image virginale associée progressivement à la pâleur, la blancheur, la clarté s'opposant à la lumière."
Paul Valéry a écrit : "Ce qu'il y a de plus profond c'est la peau." (dans "L'idée fixe", 1933). Longtemps la peau a été vue comme "l'expression à l'extérieur d'un intérieur", l'expression de l'âme mais aussi, et de façon plus prosaïque, d'une bonne santé et d'une aisance sociale. Étudier l'histoire du bronzage c'est faire de l'histoire culturelle, considérant ce qui se joue à travers des systèmes de représentation et les imaginaires collectifs a autant d'importance pour comprendre le fonctionnement des sociétés humaines que les rapports de domination politique ou de production économique. Pour Pascal Ory c'est même "une vraie révolution culturelle" que cette "invention du bronzage".
Souvent, on attribue à Gabrielle Chanel et aux congés payés d'avoir lancé et encouragé la mode d'une peau bronzée. Une inexactitude selon l'historien ! En 36, cela fait déjà plusieurs années qu'on a basculé dans la mode du bronzage. À titre d'exemple, la crème "Ambre Solaire" apparaît en 1935. "Quand Eugène Schueller, le fondateur de L'Oréal met tous ses chimistes sur le terrain pour ça c'est qu'en réalité la mode est déjà lancée." Et si Coco Chanel a figuré dans l'avant-garde, en matière de teint hâlé, cela "ne signifie pas qu'elle a été leader sur cette question-là", pour Pascal Ory.
En revanche c'est bien en France, "pays de l'élégance féminine" que tout a basculé. Rappelons qu'en 1918, la France est "au pinacle de son prestige international". Et que dans les années 20, Anglais et Américains se tournent vers Paris pour savoir quelle est la dernière mode. "Les magazines féminins sont des très indices intéressants." Dans les pages du Petit écho de la mode, magazine féminin plutôt conservateur, on s'est montré réticent jusqu'à la fin des années 30. Brunir supposait un dénudement et revenait à s'exposer de façon scandaleuse. Quant à l'hebdomadaire Marie Claire, (qui est selon l'historien l'ancêtre de Elle et non du Marie Claire actuel), qui s'adresse aux filles des lectrices du Petit écho de la mode, il est complètement ouvert à cette exposition au soleil.
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