En 2004, dans son "Dictionnaire amoureux de la Russie" (éd. Plon), Dominique Fernandez écrivait d'Andreï Makine : "À voir la haute stature, le port rigide, le visage taillé à la serpe, la barbe de prophète, les yeux clairs, on dirait un de ces pèlerins qui parcouraient à la main l'immensité de la steppe. Mais sous ce physique serein de moine se cache un esprit rebelle, tourmenté." Pouvait-il imaginer que quelques années plus tard il l'accueillerait à l'Académie française ? Ce jeudi 15 décembre 2016, Andreï Makine a été reçu en séance solennelle sous la Coupole, par Dominique Fernandez.
Andreï Makine n'est pas friand des confidences. Il a même déclaré: "Je crois qu'on détruit une œuvre en lui accolant une biographie." Et pourtant on saisit mieux en l'écoutant ce qu'est son amour du langage, un attachement viscéral, presque vital. Enfant, quand il découvre la poésie il a le sentiment que la beauté des rimes accolée à la puissance du rythme a le pouvoir d'ordonner un monde "magma désorganisé", "opacité hostile". Le langage c'est ce qu'il a trouvé, enfant interrogeant la mort, pour "préserver une parcelle" de ceux qui disparaissaient. "J'ai vu beaucoup de gens mourir très tôt."
Il faut imaginer le jeune Andreï Makine dans un orphelinat de Russie à la fin des années 60/70 pour le comprendre aujourd'hui. Dans la Russie de Staline on veut vous imposer l'idée qu'au fond chaque homme est remplaçable, interchangeable. Très tôt le poète en lui a su appréhender grâce au langage l'unicité des choses, la préciosité des êtres, "un en-soi" fondamental, métaphysique. "L'homme devient précieux, il compte, ce n'est plus la masse."
Né en 1957 à Divnogorsk, dans la région de Krasnoïarsk en Sibérie centrale, Andreï Makine a été dès l'enfance "habité par une autre vision du temps et de l'espace". La solitude des grandes étendues steppiques habite son œuvre. Mais sa patrie de cœur, depuis l'enfance, c'est la France. Le pays vers lequel sa grand-mère, Charlotte Lemonnier, lui a appris à se tourner, en lui enseignant le français.
Malgré tout, être bilingue a été pour lui une "angoisse", celle de voir le monde "scindé en deux". En 1987, il a presque 30 ans, quand il choisit la France. Il fuit son pays pour "son autre patrie" où il n'était jamais allé et où il demande l'asile politique. Et en attendant d'être régularisé, lui qui avait déjà exercé "mille métiers" - portefaix, berger, soldat... - vit dans la précarité. En 1995 enfin paraît son roman "Le Testament français" (éd. Mercure de France, 1995) distingué par le prix Goncourt.
S'il a quitté son pays, c'est parce qu'Andréï Makine n'a pas voulu choisir entre la Russie communiste et celle des oligarques, sous Boris Eltsine. Les années 1990 sont pour lui parmi les pires que la Russie ait connues. Aujourd'hui Français de nationalité, il défend "de la Russie ce qui est vrai" : la notion de fraternité, qui "existait vraiment", ces derniers rêves collectivistes espérés par ceux qui avaient connu les horreurs de la Première Guerre mondiale. Ce rêve de fraternité collective, de partage, l'écrivain les a vécus et nécessairement engendrés lui aussi. En filigrane ils ponctuent ses romans.
RCF est une radio associative et professionnelle.
Pour préserver la qualité de ses programmes et son indépendance, RCF compte sur la mobilisation de tous ses auditeurs. Vous aussi participez à son financement !