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Les derniers mois de la vie d'un chartreux, entre détresse, louange et contemplation

RCF, le 23 février 2022 - Modifié le 17 juillet 2023
DialogueAller au bout de son chemin : un texte méditatif sur la vie de chartreux - 1

Les neuf derniers mois de la vie d'un chartreux. C'est ce que raconte Gérard Vincent dans "Mort d’un chartreux" (éd. du Rocher). Un roman en forme de journal intime, qui est tout à la fois une prière, une louange, un cri de détresse, une méditation, un émerveillement devant la beauté du monde et un consentement à quitter cette beauté.

Religieux en promenade autour de la chartreuse des Portes, à Benonces (Ain), en 2001 ©Bruno ROTIVAL/CIRICReligieux en promenade autour de la chartreuse des Portes, à Benonces (Ain), en 2001 ©Bruno ROTIVAL/CIRIC

Les derniers mois de la vie d’un chartreux

 

"Mort d’un chartreux", c’est l’histoire de Pierre Dambleteuse, un jeune homme dont la vie se trouve bouleversée à l’âge de 24 ans par une très grave crise psychique. Quatre ans plus tard il entre à la Grande Chartreuse. "Un ordre qui a presque mille ans qui est très difficile, très exigeant." Après 28 ans de vie monastique, il apprend qu’il a une tumeur cérébrale inopérable. Passé l’effroi et "le désastre", il demande au prieur l’autorisation d’écrire son journal.

 

C’est bien un roman que signe Gérard Vincent, sous la forme d’un journal. Un roman vibrant, intense. Il y a quelque chose d’étrange à entrer dans son univers romanesque qui est à la fois une prière, une louange, un cri de détresse, une méditation, un émerveillement devant la beauté du monde et un consentement à quitter cette beauté. Il décrit cette attente de la mort, qui est aussi attente de Dieu et de la lumière.

 

Écrire un journal, pour un moine qui a fait vœu de silence, "c’est vrai que ça peut paraître une incongruité", admet Gérard Vincent. "C’est sûr que c’est pas du tout la vocation d’un moine d’écrire, même si les chartreux écrivent mais surtout des commentaires des Écritures saintes." Mais son héros est aussi un poète. Il a été bouleversé à l’adolescence "par la parole brûlante et verticale d’Arthur Rimbaud". Puis il a découvert Hölderlin, Hopkins, Paul Celan, Mandelstam… "Il est avant tout moine mais aussi, et il le sera jusqu’à sa mort, poète."

 

Une fascination pour la Grande Chartreuse

 

Pourquoi la Grande Chartreuse ? Gérard Vincent a vécu plusieurs années non loin du monastère. Les lundis, jours de sortie des moines, il pouvait les voir marcher dans la nature, en sandales et en silence. "J’étais fasciné par ces visions, par cette image de paix presque angélique qui apparaissait… Ces moines, pendant des années, ils m’ont hanté." D’ailleurs, l’écrivain en est convaincu, certains lieux sont porteurs d’une force mystérieuse.

 

Assoiffé de silence et de contemplation, le héros de Gérard Vincent n’a pas hésité avant de choisir d’entrer à la Grande Chartreuse. "Il est devenu moine aussi parce qu’il avait été frappé par la règle des chartreux, ce que l’on appelle l’échelle cartusienne : lecture, prière, méditation, contemplation. La graduation qui va vers Dieu à partir de la lecture." Il a aussi été touché par les moines taoïstes et leur façon de se reculer des lieux de solitude et de silence.

 

Situé en Isère, au cœur des montagnes, le site de la Grande Chartreuse invite à la contemplation. Et le journal que tient le moine accorde une large place à la célébration de la beauté du monde. C'est après être sorti de sa violente crise psychique, que Pierre Dambleteuse en "a fait pour la première fois l’expérience". Un simple pommier en fleurs dans un parc lui est apparu "comme une théophanie", explique l'écrivain : il y avait là "toute l’essence de la création en beauté et en lumière". C’est ce moment que Gérard Vincent décrit comme décisif dans le parcours de son héros. "À partir de cette expérience qu’il fait à 24 ans, il a ce désir de consacrer sa vie à la contemplation, à la beauté du terrestre." 

 

"Maintenant et l'heure de la mort, c'est la même chose"

 

Il est aussi question de la souffrance du corps et de celle de l’esprit dans ce roman. "J’entrevois avec de plus en plus clarté dans quelle débâcle va s’achever ma vie corporelle", confie le moine. Avec humilité, Gérard Vincent se demande si on est digne d’employer ces paroles, si on n’a pas vécu soi-même ce type de souffrance. Mais il confie aussi que lorsqu’on écrit ce type de livre, "on entre dans la peau de son personnage", jusqu’à, d’une certaine façon, souffrir avec lui.

 

« 12 novembre 2006. Et puis ce matin, une difficulté inouïe à me lever, le crâne semble enserré dans un effroyable étau. Je me suis traîné, pitoyable, jusqu’à la chapelle. Ces maux de tête sont de plus en plus violents. Dom Roger, en lisant mon état sur les traits de mon visage, me propose de me reconduire à ma cellule. Sottement je refuse. Mal m’en prit car dix minutes plus tard, alors que le chant des matines emplissait l’église, je suis pris soudain de vomissements et c’est ce frère d’affliction qui me tient la tête dans l’air glacé de la nuit finissante, alors que je me vide du peu de nourriture ingurgitée depuis la veille. »
Extrait de "Mort d'un chartreux", de Gérard Vincent (éd. du Rocher)

 

Son choix de vivre dans la solitude et l’enfermement, le héros de Gérard Vincent "va l’assumer jusqu’au bout, dans la foi, dans l’espérance et aussi dans le lien avec les autres". Le roman retrace ce processus que Jung appelle "l’individuation" - un chemin "qui ne se termine pas", selon l'auteur. "Je pense que si tous les êtres avaient la conscience de ce qu’est un vrai chemin de vie et d’individuation ils seraient heureux, parce qu’on sait que, quelles que soient les circonstances et parfois les naufrages de la vieillesse, on peut mener ce chemin jusqu’à son dernier souffle. 'Maintenant et à l’heure de notre mort' : cette fin du Je vous salue Marie donne le vrai sens de la vie : toujours relier le maintenant et l’heure de la mort parce que c’est la même chose."

 

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