Depuis des mois le Liban est plongé dans une crise économique sans précédent qui a fait basculé 80% de la population sous le seuil de pauvreté. La classe moyenne est devenue pauvre et les plus pauvres sont devenus des indigents. La catégorie la plus aisée a souvent déjà quitté le pays pour tenter de retrouver ailleurs un niveau de vie décent. Le Liban est aujourd'hui témoin de l'exode le plus massif de sa population depuis la guerre civile en 1975. Ceux qui restent le font par conviction ou parce qu'ils n'ont pas le choix. Véronique Alzieu est allée rencontrer les filles de la charité de Beyrouth qui, malgré la tourmente, continuent de venir en aide aux habitants des quartiers défavorisés de la capitale.
Véronique Alzieu est accueillie dans le Centre de Protection Maternelle et Infantile (CPMI) créé en 1958 et géré par soeur Rita, responsable du lieu depuis quatre ans. La congrégation des filles de la charité de Beyrouth, dont elle fait partie, oeuvre au niveau éducatif à travers des écoles, des orphelinats, des crèches mais aussi des centres de rééducation spécialisée pour jeunes enfants handicapés. Le dispensaire se trouve dans le quartier défavorisé de Karm Al Zeitoun, Mont des Oliviers en français. Il procure du pain à 230 familles du quartier quotidiennement. "Il y a beaucoup de demandes mais notre budget est limité" constate soeur Rita.
Le 4 août 2020, une double explosion frappait le port de Beyrtouh. Depuis la situation économique du pays est en chute libre. Les prix ne cessent d'augmenter et la demande avec. Au niveau médical, une partie croissante de la population n'est plus en capacité de payer une consultation en clinique privée. Afin de remédier à cette situation, le dispensaire met à disposition une médecin généraliste, une pédiatre, un infectiologue, un cardiologue et un endocrinologue et donne des médicaments gratuitement via sa pharmacie.
Que ce soit au niveau médical, éducatif ou économique soeur Rita qualifie la situation de "catastrophique". "On a commencé avec la révolution en 2019, pour répondre à la situation on créé des projets et on est tapés par le Covid [...] après nous sommes arrivés à l'explosion du 4 août. C'était la détresse complète pour le pays. Beaucoup de personnes ont perdu leur famille, leurs amis, leur maison."
Lara est l'une des bénéficiaires du dispensaire des filles de la Charité. Depuis deux ans, elle vient récupérer des médicaments pour ses parents malades. "Nos salaires ne suffisent pas à payer" explique-t-elle. Anciennement responsable d'un magasin de jouets pour enfants, elle n'a plus de travail depuis trois ans. Divorcée et maman d'une fille de 15 ans, Lara a du mal à joindre les deux bouts et est en colère. "Avant j'habitais en France, j'étais mariée après j'ai divorcé et je suis rentrée ici pour être à côté de mes parents. Maintenant ma fille est fâchée et me demande pourquoi on est rentrées ici et je ne peux rien faire car on n'a pas la nationalité française" témoigne-t-elle en larmes.
Pour Lara, la crise actuelle est en grande partie due à une mauvaise gestion des élites. "On était heureux ici, la vie était belle, le Liban est très beau, tu peux parler avec tout le monde, tout le monde aide les autres mais il y a une catégorie de gens au Liban qui ne sont pas bien : les politiques" chuchote-t-elle.
On était heureux ici, la vie était belle, le Liban est très beau, tu peux parler avec tout le monde, tout le monde aide les autres mais il y a une catégorie de gens au Liban qui ne sont pas bien : les politiques
Les filles de la Charité de Beyrouth gèrent également l'hôpital du Sacré-Coeur qui se trouve dans un quartier plus chic de Beyrouth. La petite communauté de cinq soeurs s'occupent habituellement de 265 lits mais aujourd'hui tous les lits ne sont pas occupés. "Depuis la Covid et la crise économique les gens ne viennent pas comme avant à l'hôpital dès qu'ils ont quelque chose, ils essayent de se soigner à la maison parce que maintenant la santé coûte beaucoup" explique soeur Samia qui fait partie de l'équipe. Cette augmentation du prix des soins à pour conséquence l'aggravation de l'état de santé de la population libanaise : "il y a aussi des gens qui meurent chez eux".
Avec la situation économique actuelle, beaucoup de familles libanaises ont quitté le pays en laissant leurs parents vieillissants à Beyrouth. "Ils n'ont personne et ils ont besoin d'un service ou d'un centre qui les accueillent pour ne pas être seuls" constate soeur Samia. À cet égard, les filles de la Charité souhaitent ouvrir dans les mois à venir un centre de gériatrie. Un projet ambitieux notamment face aux départs de plus en plus nombreux des médecins à l'étranger.
Beaucoup pensent à quitter le pays pour reprendre une vie normale ailleurs. Pourtant, certains irréductibles veulent continuer à croire à un avenir plus lumineux. "On ne peut pas quitter le Liban. Il ne faut pas penser qu'à l'argent, il y aussi la famille, les collègues" explique une infirmière. "Nous sommes des filles de Saint-Vincent-de-Paul donc notre esprit c'est d'être aussi proches des malades que du personnel" répond Soeur Samia. Pour Antoine Haddad, Chef de Département de Biologie Médicale et de Transfusion Sanguine à l'hôpital du Sacré Coeur, "les raisons de rester c'est de s'accrocher aux racines [...] c'est se dire qu'on a vécu beaucoup de crises et à chaque fois ce pays est arrivé à sortir de ces événements et à reprendre le cours normal de son existence."
Les raisons de rester c'est de s'accrocher aux racines.
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