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L’Impossible retour, d'Amélie Nothomb

Un article rédigé par Christophe Mory - RCF, le 13 septembre 2024 - Modifié le 13 septembre 2024
L'Actualité littéraireL’Impossible retour, le dernier livre d'Amélie Nothomb

Depuis trente trois ans, chaque mois de septembre voit paraître un nouvel opus d’Amélie Nothomb. C’est métronomique et la nouvelle couverture envahit les vitrines, les gares, les supermarchés. Christophe Mory l'a lu pour vous. 

Couverture du livre "L'impossible retour", d'Amélie NothombCouverture du livre "L'impossible retour", d'Amélie Nothomb

Cela fait trente trois ans qu’elle semble concourir au Prix Goncourt. Or des prix, elle en a obtenu : Prix René Fallet, Prix de la Vocation, Prix du Jury Jean Giono, Grand Prix du Roman de l’Académie française pour Stupeur et tremblements en 1999, Prix du Flore, Grand Prix Jean Giono, Prix Renaudot (enfin !) en 2021 pour Premier sang, Prix Jean Monnet de littérature européenne en 2022. Autant dire que Madame Nothomb est largement installée dans la République des lettres. J’avais été impressionné par Soif, un récit personnel et bouleversant de la Passion du Christ, c’était en 2019.

Le Japon comme décor

Il s’agit d’un séjour au Japon, du 20 au 31 mai 2023, avec une copine, Pep qui, ayant gagné ce voyage pour deux, propose à la narratrice de la guider puisqu’elle a vécu au Pays du Soleil levant et qu’elle parle la langue apprise dès l’enfance. Elle y a passé son enfance (son père y était ambassadeur pendant neuf ans) puis ses débuts dans la vie avec un premier amour fondateur et la confrontation à l’entreprise au cours d’un stage raconté dans Stupeurs et tremblements. « Le japonais est ma langue fantôme, écrit-elle. Jusqu’à l’âge de cinq ans, je l’ai parlé couramment ». Amélie Nothomb en effet a vécu son enfance là-bas, son père ayant été diplomate pendant neuf ans.

Plus qu’un paradis perdu, le Japon semble le moteur de l’écriture : « Deux livres prouvent combien ces années de jeunesse m’ont marquée. Et ce ne sont pas des souvenirs consignés dans l’écriture, ce sont des souvenirs avec lesquels je compose au quotidien », écrit-elle encore. Et c’est là la réussite du roman : le Japon est un prétexte, un « avant le texte » : « Le seul endroit que j’aurais élu, je l’ai quitté. Je viens encore de l’abandonner. Quid de cette aberration ? Je n’y comprends rien, alors j’écris. C’est bien l’écriture et la mémoire qui sont le sujet du livre.

Une écriture proustienne

Le temps marque. Je cite encore : « Il me prend un vertige à l’idée d’avoir vécu si longtemps (…) en 1972 déjà, j’étais en proie à la nostalgie, non d’une venue précédente, mais du présent d’alors. ». Le temps, source de nostalgie, de douleurs, de brûlures ? Elle a une solution : "Afin d’en supporter l’idée, je prends la seule décision possible : il n’y a pas de temps. Le temple des cloches le prouve : il n’a pas changé d’une poussière depuis 1972 et 1989. Allons jusqu’au but du raisonnement : moi non plus, je n’ai pas changé. Pour être plus précise, je me reconnais mieux en 1972 qu’en 1989. Me comparer à une jeune femme de vingt-deux ans me semble plus absurde que me parangonner à l’enfançonne. Cette dernière m’habite profondément."

Parangonner à l’enfançonne

Il faut s'arrêter sur ces deux mots qui méritent une explication pour nos jeunes lecteurs. Paragonner, verbe très utilisé au début du XIXème siècle vient de l’imprimerie. Procéder à l'alignement de caractères de différentes tailles ou polices. Très vite, le verbe est devenu un synonyme de comparer.

Enfançonne : nom masculin singulier
Vieilli : Très petit enfant.
Rare : Personne innocente, fragile, désarmée.

Donc « me paragonner à l’enfançonne » : Je reprends la phrase : Me comparer à une jeune femme de vingt-deux ans me semble plus absurde que me comparer à une personne innocente et fragile ». Je préfère la plume d’Amélie Nothomb et j’aime « me parangonner à l’enfançonne ».

Ici, il ne s’agit pas du petit pan de mur jaune d’une toile de Vermeer mais de l’étoffe verte d’une robe. Ecoutez plutôt, le paragraphe est parfait : « Je plonge en ce vert tendre comme dans un bain. Ne tend-il pas plutôt vers le vert thé de cérémonie, cette poudre de matcha dont la mode commence chez nous ? Aux antipodes du clinquant d’un vert pomme ou de la soldatesque d’un vert kaki, il chatoie au soleil du printemps. Vert d’eau ? Non lus, il n’a pas cette crudité bleutée. Je repousse également le vert pulpe de raisin, car cette soie est loin du fruit, elle n’invite pas à la caresse, elle recherche la contemplation oblique de la politesse ».

Un livre à lire

Ah, pour cette « contemplation oblique de la politesse », j’invite à lire ce nouvel opus d’Amélie Nothomb, l’Impossible retour publié par Albin Michel. C’est un roman court, 162 000 signes, 150 pages qui se lisent en un après-midi. On est touché par l’élégance, même quand la narratrice se retient dans une longue file d’attente devant les toilettes de femmes. Elle nous emporte. Je ne suis jamais allé au Japon mais à lire cet Impossible retour, il me semble en recevoir les clés. Parce qu’enfin il faudra bien rentrer, revenir de cet archipel secret, ce paradis perdu. Quand nous en revenons avec elle, dans le RER, la déconvenue est là : « Au-delà du sale et du sordide, il y a le malaise. Nous nous arrêtons à Aulnay sous-bois : un si joli nom pour, comment dire ? Nous traversons Drancy, comment ne pas se sentir mal ? Les banlieues japonaises, elles, ne donnent pas envie de se pendre. »  La déconvenue est là. C’est bien le signe que nous sommes partis en voyage. C’est essentiel, non ?

 

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