Maltempo

Coup de coeur 
Maltempo d'Alfred chez Delcourt 

C’est un carnet retrouvé en 2018 chez ses parents qui ont donné à l'auteur le bon tempo pour ce Maltempo… un carnet de l’époque de ses 16 ans, rempli de dessins, de notes mais aussi de 5 textes de chansons écrits en italien, des chansons qu'Alfred avait d’ailleurs oubliées. Mais redécouvrir ces textes réactive plein de souvenirs de son adolescence passée à faire du rock avec quelques copains. L’auteur alimente alors ce terreau de souvenirs, de multiples sensations remontent à la surface et l’évidence s’impose : alors qu’il a déjà bien entamé ce nouveau livre, ces chansons du passé feront partie de cette histoire de Maltempo, et il se décide à les enregistrer. Des 5 textes écrits, Alfred en bricole 2, en gardant les phrases d’origine pour conserver intacte, autant que possible, la naïveté adolescente, et il s’appuie sur les accords notés dans le carnet pour les accompagner. Pour ressusciter ces mélodies, il s’entoure de 3 amis avec une seule consigne : "On a 16 ans, on est fin des années 80, on fait du rock’n’roll" !

Pour le dernier volume de sa trilogie italienne, Alfred a délaissé les adultes pour se mettre à hauteur d’adolescent, qui rêve plus grand que ce que la vie semble pouvoir lui offrir. On rejoint une thématique de Come Prima, avec le grand frère, Fabio, qui lui aussi avait fui son village et une vie trop étriquée. L’auteur garde une part sociale dans son récit qui se passe dans une petite île du sud de l’Italie, où la mafia est présente tout comme la jeunesse fasciste. L’histoire commence d’ailleurs de nuit, une nuit calme et paisible, et sans un mot l’auteur nous montre des bouts du décor de ce théâtre qu’il met en scène : le village et ses rues d’abord, puis la grange de répétition des musiciens et un chantier de constructions d’immeubles qui tout d’un coup explose. En 8 pages muettes, nous comprenons déjà quelques questions qui seront abordées au cours des près de 200 pages de cette bande dessinée qui se poursuit avec une séquence très drôle de deux enfants qui se disputent violemment en se traitant de tous les noms et en se tapant avec des bâtons. Mimmo arrive sur son scooter, les voit et les houspille et l’on apprend alors que les deux jeunes jouaient au patron et à l’ouvrier ! L’humour est ainsi lui aussi très présent, surtout par le biais de ces 2 jeunes, petits frères des amis musiciens de Mimmo, que nous retrouverons avec grand plaisir à plusieurs reprises au cours de la lecture de cette bande dessinée. 

Pour participer au casting de l’émission TV type The Voice ou Nouvelle Star, il faut reprendre les répétitions : nous allons donc suivre Mimmo retrouver un a un les membres de son groupe. A la batterie, il y a Gennaro dit Mortadelle, le fils du boucher et épicier, gentil mais qui répète trop tout ce que dit son père. Guido, lui, semble un peu plus vieux, c’est le bassiste grande gueule, beau parleur, qui couche chaque soir avec une fille différente. Enfin, il y a Cesare, le chanteur, qui voit d’un mauvais œil la construction d’immeubles qui détruisent la nature et les arbres centenaires auxquels il grimpait enfant. Il n'y a donc pas que des garçons et bien sûr les filles sont présentes, surtout la belle Alba dont Mimmo semble quelque peu épris même si son horizon n’est rempli pour l’heure que de riffs électriques et de concours TV.

Par le biais de ces différents personnages, l’auteur nous fait découvrir la vie de ces jeunes dans ces villages reculés où bien évidemment  tout le monde n’est pas ce qu’il semble être. Par exemple, si Guido n’est pas disponible pour répéter les soirs, ce n’est pas forcément pour être avec une fille... Il y a aussi ces jeunes avec qui Mimmo est en conflit, des jeunes racistes, qui s’en prennent fréquemment à un vieil homme original qui se promène souvent nu et qu’ils n’hésitent pas à tabasser. Sans oublier cette meute de chiens qui semble suivre notre jeune héros un peu partout où il va… Entre les emplois du temps et les embrouilles des uns et des autres, Mimmo et son groupe seront-ils prêts pour être au niveau et espérer une place en finale à Rome devant des millions de téléspectateurs? 

Une bande dessinée coup de cœur, tant elle est réussie : parfaitement dosée dans les émotions, entre rires et larmes, et surtout qui sonne parfaitement juste. Pour qui a monté un groupe de rock à cet âge là se reconnaîtra forcément dans les situations et dialogues de ce Maltempo. Et puis, il y a le dessin, au diapason de l’histoire : encore plus élégant que ses précédents ouvrages (qui se rapproche presque d’un Matthieu Bonhomme, le dessinateur d’Esteban, le Marquis d’Anaon ou plus récemment de Charlotte Impératrice).

L’album est d’une fluidité remarquable et les séquences s'enchaînent les unes après les autres, sans temps morts autres que ceux que nous imposent l’auteur lors des pleines pages, voire double pages qui parsèment la BD. On ne peut donc que saluer le tempo et la maîtrise de la partition de la part d’Alfred. On peut aussi noter le très bon travail de Laurence Croix aux couleurs, excellente coloriste notamment des albums du duo Appollo et Brüno.  Ici aussi elle fait des éclats et l’on peut remarquer de très belles ambiances nocturnes comme la séquence d’ouverture et d'autres entre coucher de soleil et crépuscule au rendu superbe ou encore les séquences de répétitions explosives… Maltempo une bande dessinée d’Alfred, qui signe non seulement, le scénario et le dessin mais aussi la musique ! Bravissimo !

Programmation musicale : 

Notturno, Alfred 2023
Maltempo Uno, Alfred 2023