Christian Bobin est décédé ce vendredi 25 novembre à l'âge de 71 ans. Pour ses lecteurs, il restera le poète de l'émerveillement, à la recherche du "cœur-enfant" comme il l'appelait, témoin inlassable de la densité des choses et des êtres... Pour lui rendre hommage, RCF vous propose de réentendre l'interview qu'il avait accordée à Thierry Lyonnet en 2017, à l'occasion de la sortie de son livre "Un bruit de balançoire" (éd. L'Iconoclaste).
Après le succès de "L'homme-joie", Christian Bobin a publié en 2017 "Un bruit de balançoire" (éd. L'Iconoclaste). Un recueil de lettres adressées à sa mère, à "Frère nuage", à une inconnue, ou encore à Ryokan - un moine japonais du XIXè siècle qui l'accompagne tout au long de l'ouvrage. Il a reçu Thierry Lyonnet dans sa maison, non loin du Creusot, en pleine campagne, pour nous parler de l'esprit d'enfance, plus exactement de la recherche du "cœur-enfant". Un émerveillement.
Ces textes de Christian Bobin, il faut s'en imprégner petit à petit. Après les avoir lus on ne regarde plus de la même façon un nuage ou des "gouttes de pluie sur la vitre", celles qui "ont un bombement argenté et une bordure laiteuse". C'est qu'avec "Un bruit de balançoire", il nous initie. À "cette chose impondérable qu'est la vérité de notre présence". Il nous ouvre la voie de l'intime et du vrai. Il y a quelque chose de radical chez lui - ce mot "rien" qui revient souvent - et en même temps d'une infinie douceur. Il écrit: "Je n'ai rien fait de ma vie, rien, juste bâti un nid d'hirondelle sous la poutre du langage."
Les textes de Christian Bobin parlent de la densité des choses et des êtres. Dans un chapitre de son livre "Un bruit de balançoire", il écrit à un "Cher penseur". Une réponse à quelqu'un qui aurait reproché au poète Jean Grosjean (1912-2006) une simplicité de langage. Bobin de répondre : "Cette simplicité est la source des éclairs. "Il conclut par : "Le poème s'écrit avec rien - et c'est le contraire de Flaubert avec son bourgeois désir d'écrire sur rien."
D'où vient que la quête de l'esprit d'enfance aille si bien avec la lecture ? La terrasse où Christian Bobin a reçu Thierry Lyonnet était à côté d'un jardin en friche, et près de lui l'orée d'une forêt elle-même située dans un couloir aérien. Et si le bruit d'un avion est venu déranger l'échange, en fait il n'en était rien, car ce vrombissement de l'appareil au décollage est venu à point nommé illustrer le propos du poète : le bruit d'un "fer à repasser sur un linge bleu".
"Je vois la totalité de la vie comme un livre, je la ressens, chaque journée est une page entière enluminée. La plupart du temps je préfère me taire, regarder passionnément comme un affamé."
Le poète confiait : "Je vois les correspondances entre les choses." Dans son livre, à sa mère, il demande : "Comment as-tu modelé mon cerveau de façon à ce qu'un jour une phrase m'affole ?"
Poète de l'émerveillement, Christian Bobin n'éludait en rien la souffrance. Et sa lettre aux "Jeunes gens de Lodz" est empreinte de gravité. Il y a pourtant une indicible et constante espérance dans ses propos.
Je pense que nous pouvons être des miracles les uns par rapport aux autres, et je pense qu'un moine ce n'est pas extraordinaire, un saint ce n'est pas extraordinaire. C'est la vie qui est extraordinaire et si nous nous mettons dans son flux nous pourrions obtenir des choses... Silencieusement, sans morale, juste avec une empathie brûlante de l'autre, une compréhension de l'incompréhensible.
Poète du XXIe siècle, Bobin s'interrogeait sur la fabrication des objets en série (dans le chapitre "Mon pauvre bol") ou sur la disparition programmée de l'écriture manuscrite. Dans notre société de surconsommation et où le temps s'accélère, son propos - et c'est le rôle du poète - est de faire voir l'indispensable. Il nous propose un autre temps, un autre regard, la contemplation, la richesse de la rencontre, la quête du mystère. "Écrire pour moi c'est appeler dans le noir."
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