Les chansons rythment notre histoire et s’en font le reflet. La musique classique comme le rock peuvent en dire plus qu’un long discours et témoignent des bouleversements politiques et sociaux de notre société. Elles ont parfois un vrai écho politique avec le pouvoir de rayonner, d’agresser, de célébrer ou de dénoncer.
Victor Hugo disait de la musique que c'était "du bruit qui pense". Frédéric Granier et Hélène Daccord ne peuvent que confirmer. L’un est auteur de "Imagine : douze chansons qui ont fait l’Histoire" (éd. Perrin), l’autre de "Quand la musique fait l'Histoire" (éd. Passés Composés). Avec leurs livres, ils proposent un voyage dans le temps et dans l’espace de la musique.
Comment parler de musiques résonnantes sans évoquer "Imagine" de John Lennon ? En 1971, plus d’un an après la séparation des Beatles, le chanteur s’inquiète de ne pas avoir créé de tube universel. Frédéric Granier explique que "Lennon a alors l’idée d’écrire une chanson culte, qui prône la tendresse dans un monde de brute". Très vite, sa chanson fait l’unanimité. Aujourd’hui encore, "Imagine" est brandie comme une chanson de réconfort : "au lendemain des attentats du Bataclan, un pianiste est venu l’interpréter devant la salle de spectacle", rappelle l’historien. "Imagine" est un "hymne universel de réparation".
Quelques années plus tard, dans l’Angleterre de 1977, "quatre affreux jojos" bousculent la monarchie britannique. A l’occasion du Jubilé de la reine, les Sex Pistols investissent un bateau, le "Elizabeth", sur la Tamise avec l’idée de s’attaquer à la grandeur britannique. "En 1977, la Grande-Bretagne va mal". Les Sex Pistols interprètent leur nouvelle chanson "The Queen" : ils y déclarent qu’il n’y a "pas de futur et évoquent un régime britannique fasciste". Finalement, la police intervient et le producteur du groupe, McLaren, est jugé. Si le relais médiatique est important, c’est parce que cette chanson marque un "vrai schisme" entre la jeunesse et la génération qui avait vécu la guerre. "C’est une sorte de doigt d’honneur qu’ils envoient à la génération de leurs parents qui avait vécu la guerre", note Frédéric Granier.
La Marseillaise, reprise par Serge Gainsbourg en 1979, a elle aussi fait couler beaucoup d’encre. Le chanteur veut alors lui "redonner son sens révolutionnaire", souligne Frédéric Granier, qui "trouve que c’est une relecture originale et respectueuse". D’autres, comme l'affirme Michel Droit dans les colonnes du Figaro à la sortie de la musique, y voient une "odieuse chienlit, une profanation pure et simple de ce que nous avons de plus sacré". Preuve de plus que les chansons peuvent prendre un sens politique et scinder la population.
Du violoncelliste qui s’est installé au checkpoint du mur de Berlin un 11 novembre 1989 pour interpréter Bach à l’orchestre du camp de Terezin, la musique classique a un poids important et marque, elle aussi, l’Histoire. Hélène Daccord évoque notamment le sacre de Napoléon III, le 2 décembre 1804. "Beethoven avait pris position dans le débat public : il était un des plus grands admirateurs de Bonaparte". Mais quand Bonaparte devient empereur, Beethoven voit ses espoirs anéantis. Lui qui était un "fervent admirateur de l’idéal des Lumières et de la Révolution" condamne l’Empire de Napoléon et raye sa signature en bas de la partition de la 3e Symphonie, écrite pour Bonaparte. "Beethoven voyait en lui une figure prométhéenne et un idéal de liberté et d’égalité, mais tout s’écroule le 2 décembre 1804", explique Hélène Daccord, qui évoque que l'on peut voir sur la partition originelle la signature rayée d'un trait de plume par le compositeur lui-même.
Dans l’Allemagne nazie, plus d’un siècle plus tard, le camp de Terezin est réputé pour son orchestre. En juin 1944, alors que le IIIe Reich fait face à des difficultés sur de nombreux fronts et que les atrocités perpétrées sont de plus en plus connues, ce camp est "érigé en gettho modèle par les nazis". Hélène Daccord souligne qu’il "s’agissait plutôt d’un village pour tromper la communauté internationale". Là-bas, de nombreux musiciens sont contraints à former des ensembles : ce sont les "ghettos swingers". Souvent détournée par le régime nazi, la musique est aussi un moyen de résistance et de survie pour les détenus.
À plus petite échelle, aussi, la musique classique a le pouvoir de faire changer les choses. Hélène Daccord évoque notamment l’association El Sistema qui, au Venezuela, permet depuis 1975 de lutter contre les fractures sociales et territoriales. "Le chef d’orchestre à l’origine de ce projet a eu l’idée de faire de la musique classique un outil politique", explique l’intervenante. El Sistema permet ainsi à des jeunes plutôt fragiles de sortir de la pauvreté et de la violence. "Près de 400 petits groupes de musique ont été créés à travers le monde", se réjouit Hélène Daccord... Signe que la musique ne s'arrête pas de changer le monde !
RCF est une radio associative et professionnelle.
Pour préserver la qualité de ses programmes et son indépendance, RCF compte sur la mobilisation de tous ses auditeurs. Vous aussi participez à son financement !