Une exposition de la Fondation Vuitton est consacrée à un seul tableau, "L’atelier rouge" peint par Henri Matisse en 1911. C'est à découvrir jusqu'au 9 septembre 2024.
C’est un des tableaux les plus intrigants du XXe siècle. "L’atelier rouge" peint par Henri Matisse en 1911. Cette toile d’1 mètre 80 par 2 mètres 20 représente l’atelier du peintre à Issy-les-Moulineaux. Matisse le réalise en deux temps. Il choisit d’abord de peindre en bleu les murs de la pièce (dans la réalité ils étaient gris). Le sol est rose et le mobilier ocre. Et il fait figurer dans la toile une dizaine d’oeuvres, tableaux et sculptures, qui se trouvent alors dans l’atelier : sept peintures, trois sculptures et une céramique
À vrai dire, mettre des tableaux dans un tableau est un genre très ancien en peinture. Vermeer l’a pratiqué avec génie au XVIIe siècle. Il y avait aussi certains grands collectionneurs qui commandaient des toiles regroupant leurs trésors pour affirmer leur richesse.
Au XIXe siècle, on peut citer un exemple étonnant, présenté actuellement au Musée d’Orsay dans l’exposition sur la naissance de l’impressionnisme dont je vous ai parlé il y a un mois. L’artiste, Camille Cabaillot-Lassalle, a représenté des visiteurs du Salon des beaux-arts devisant devant des tableaux. On en voit six derrière eux. Cabaillot-Lassalle a demandé aux auteurs de ces tableaux, parmi lesquels Camille Corot, de réaliser eux-mêmes les miniatures de cet arrière-plan. Ce qui aboutit à un tableau à sept mains !
Le genre choisi par Matisse pour "L’atelier rouge" n’est donc pas très original.
Un mois après avoir réalisé cette vue de son atelier, Matisse prend une décision radicale. Il recouvre toute la toile d’une couche uniforme de rouge vénitien mélangé à du vernis, ce qui produit un effet proche de la laque. Il ne laisse apparentes que les œuvres présentes dans le tableau et les contours des meubles qui deviennent des sortes de fantômes.
Ce parti pris aboutit à rendre les tableaux dans le tableau beaucoup plus présents. L’exposition de la Fondation Vuitton a l’originalité de réunir toutes ces œuvres dans la même salle que "L’atelier rouge". Toutes sauf une, un grand nu que Matisse considérait comme inachevé et dont il a demandé qu’il soit détruit par ses héritiers. Volonté qui a été respectée - ce qui est loin d‘être toujours le cas. Comparer ces tableaux avec la façon dont Matisse les a figurés dans "L’atelier rouge" est un exercice assez captivant.
Matisse espérait beaucoup le vendre à un de ses grands acheteurs, le collectionneur russe Sergueï Chtchoukine. Mais celui-ci a poliment décliné, sans doute incommodé par le grand à-plat rouge. Le tableau restera en possession du peintre pendant 16 ans. Puis il sera acheté par un collectionneur anglais. Et enfin par le Musée d’art moderne de New York en 1949.
C’est là-bas que la modernité radicale de ce tableau sera reconnue. L’à-plat rouge - sur lequel Matisse ne s’est jamais vraiment expliqué - apparaîtra comme un signe annonciateur de la peinture abstraite. D’ailleurs, "L’atelier rouge" fascinera de grands peintres abstraits américains comme Mark Rothko et Ellsworth Kelly. Ce dernier fait d’ailleurs l’objet d’une grande rétrospective à la Fondation Vuitton, simultanément à l’exposition autour de "L’atelier rouge." Enchaîner les deux expositions demande une certaine endurance mais il y a entre ces deux artistes des correspondances à rechercher.
Chaque mardi à 8h45, Guillaume Goubert et Simon de Monicault présentent une exposition ou un événement qui raconte l'histoire de l'art.
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