Enfant, Sorj Chalandon a dû se construire avec un père violent et mythomane. Adulte, il a couvert comme reporter de guerre pour Libération ce que l’homme peut faire de pire. Toute cette violence, Sorj Chalandon l’a racontée tout au long de ses articles et de ses livres. Entretien long format avec un journaliste devenu écrivain.
En lisant les livres de Sorj Chalandon, il est toujours possible de trouver une ou plusieurs pièces du puzzle que constitue la vie de l'auteur. Dans son premier roman Le petit Bonzi (2005), Sorj Chalandon aborde son bégaiement d'enfant. Dans Profession du père (2015), il raconte son enfance avec un père violent et mythomane. Dans Mon traître (2008) et Retour à Killybegs (2011), il s'inspire de son amitié avec Denis Donaldson, l’une des figures de l’IRA, l’armée républicaine irlandaise, qui s'avère être un espion britannique. Dans Le quatrième mur (2013), il prend comme décor le Liban en guerre qu'il a couvert comme journaliste.
Enfant de salaud (2021) a même pour titre une phrase prononcée par son grand-père, rappelant ainsi le passé trouble du père de Sorj pendant la Seconde guerre mondiale, qui aura été vu en habit de soldat allemand place Bellecour dans une ville de Lyon occupée, ce qui lui vaudra une condamnation de prison pour trahison en 1945. Sorj Chalandon fait la relecture alors dans son roman de sa couverture pour Libération du procès de Klaus Barbie, à Lyon en 1987, à la lumière du casier judiciaire de son père, qu'il découvre six ans après sa mort, en 2020, à la faveur du confinement.
Dans chacune de ses histoires, entremêlé dans la fiction de son récit, Sorj Chalandon met ainsi un peu de lui, de ses rencontres, de sa vie. Une vie commencée dans le cinquième arrondissement de Lyon, sous les mensonges et sous les coups d'un père violent et mythomane. « Pour mon père, dire la vérité était une impossibilité physique, morale, mentale » explique Sorj Chalandon, qui compare le nid familial à « une secte » avec le paternel comme « gourou ».
Le petit garçon bègue trouve son salut à la bibliothèque du Palais Saint-Jean, dans le 5e arrondissement, où il rencontre des « frères d'infortune » dans la littérature, notamment dans L'enfant de Jules Vallès.
Après une émancipation à 16 ans et une arrivée à Paris, Sorj Chalandon débarque au journal Libération en septembre1973, titre alors tout juste créé par Serge July et Jean-Paul Sartre. Il y restera 34 ans, jusqu'en 2007, en tant que reporter de guerre. Il couvre le conflit nord-irlandais, le massacre des camps de Sabra et Chatila en septembre 1982 (« le pire de ce que j'ai vu »), le procès de Klaus Barbie à Lyon cinq ans plus tard. Sorj Chalandon sera même récompensé du prix de journalisme Albert Londres en 1988.
Aujourd'hui, à 71 ans, Sorj Chalandon est toujours journaliste (au Canard enchaîné) et continue de publier des romans chez Grasset, dont le dernier L'enragé est sorti en septembre 2023. L'écriture est pour lui un vecteur de partage, n'en déplaise à ceux qui y verraient un processus de guérison face à tant de violence vécue enfant ou racontée comme journaliste : « j’ai un cuir abîmé, mais je veux que ce cuir-là, qui est mon socle, reste intact ».
« Notre revanche sera le rire de nos enfants ». Sorj Chalandon aime à citer cette phrase écrite par Bobby Sands, activiste nord-irlandais mort d'une grève de la faim en prison le 5 mai 1981, dont il avait couvert les funérailles : « c’est mon socle de vie, mon socle d’homme » affirme l'écrivain.
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