N’oublions pas la poésie… Elle n’est pas toujours facile à lire, les esprits cartésiens préfèrent les bonnes histoires avec des personnages, des bons et des méchants, le suspens qui nous fait tourner les pages pour découvrir enfin ce que nous raconte l’auteur, je suis le premier à lire avec impatience et d’ailleurs je vous partage volontiers mes coups de cœur ici même. Mais la poésie ! La poésie, c’est l’éloge de la lenteur, le temps qui passe en quelques mots, des images qui nous viennent, des questions qui restent.
Le poète nous entraîne dans ses rêves et parfois dans son existence même, avec ce qu’il faut de flou, recouvrant d’un voile léger ce que vous croyez saisir au travers une phrase apparemment simple qui a peut-être connu bien des ratures avant d’arriver sur la feuille blanche du recueil. La poésie est dispendieuse d’ailleurs : regardez déjà les livres, tout ce blanc de la page qui subsiste, comme s’il fallait écrire entre les lignes, en blanc dans le texte. Mais je poétise sans talent, découvrons donc ces trois recueils… p
L’exil n’a pas d’ombre, de Jeanne Benameur, qui fait place à un premier poème consacré à la traversé du désert par une femme ayant quitté son village : « J’ai quitté l’ombre des maisons. Je vais loin. Loin. Pas de mots dans ma bouche. » et encore : « J’ai rêvé d’une maison qui tiendrait toutes mes questions sous son toit/ une maison du silence doux pour chaque geste. J’ai rêvé d’un visage pour me dire l’ombre et la lumière/ un corps pour appuyer mon corps. » Jeanne Benameur est un très bel écrivain, et si la poésie vous inquiète encore un peu, commencez par lire les romans de Jeanne, par exemple le dernier, Patience des traces. Allez, encore un vers : « Le désert est une étrange affaire pour un être humain. Dans le désert rien n’échappe. »
Nancy Huston, autre formidable écrivain qui touche à tout, récit, essai, roman, et poésie, dans un petit recueil bilingue français anglais sous le titre Choses dites. Parce que la poésie, ce n’est pas que l’émerveillement de ce qui éblouit, c’est aussi, depuis Verlaine et Rimbaud, le lieu des blessures intimes. Ce recueil raconte le coup de foudre et le délitement d’un amour trop fragile. « On nageait l’un et l’autre tant bien / que mal dans les hautes mers / Sans avancer vraiment mais / restant malgré tout en vie // Et puis, se voyant soudain / persuadé que l’autre était enfin la terra ferma / on s’est sauté au cou ». Mais il y a aussi des blessures : « On fredonnait ensemble / le cœur léger dans la journée lumineuse / et tout d’un coup / le gouffre. »
Encore un dernier poète, avec Etienne Paulin et son recueil Poèmes pour enfants seuls. Une poésie faite d’enfance et de songe, d’échappée belle et d’interrogation. « Dans le jardin j’entends bêcher / fébrilement / Et je n’ai pas de potager/ Alors quelqu’un cherche un trésor. » Il y a des images, des histoires de trois mots, on essaie ? « Aujourd’hui, je m’assois dans l’hôtel Beau-Triomphe / la lumière me convient / D’ailleurs, il n’y en a pas. » Encore quelques vers : « Il était myope il aimait tout le monde / accourait sans prévenir / et se taisait longtemps dans l’herbe / on adorait ce chien berné. »
Trois recueils : Choses dites de Nancy Huston, collection de L’Iconopop, Poèmes pour enfants seuls, d’Etienne Paulin, chez Gallimard et L’Exil n’a pas d’ombre, de Jeanne Benameur aux éditions Bruno Doucey.
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