Un miracle, de Victorai Mas

Avec un tel titre, voilà un roman qui ne pouvait pas nous échapper : il y a dans ce miracle une dimension religieuse, mystique, qui éveille notre curiosité, et le titre n’est pas usurpé : il s’agit bien d’un miracle au cœur de ce roman, plus exactement d’apparitions, telles que l’histoire de l’Eglise a pu en connaître par le passé, en rappelant que nul n’est tenu d’y croire. Ca se passe en Bretagne, alors qu’un adolescent fragile « voit » au bord de la falaise une dame, dit-il simplement. Une apparition dont il sort bouleversé. Ce genre de nouvelle fait vite le tour de l’île, et au-delà même, éveillant la curiosité de la population alentour. Et pourtant, Isaac, un nom de prophète, n’a pas de message à délivrer, pas même une prière. Ce qui n’empêche pas le curé de la paroisse de s’intéresser à l’événement, tout comme sœur Anne, religieuse chez les Filles de la charité, qui a tout juste abandonné la chapelle de la Médaille miraculeuse, à Paris, pour rejoindre la petite communauté présente dans le Finistère.

Le miracle de l'invisible

L’auteure fait référence aux apparitions passées et le roman commence par le bref récit des apparitions mariales à Catherine Labouré, rue du Bac, en 1830. Il y a peut-être une ambiguïté autour de ce livre qui a pour cadre, on l’a compris, une histoire surnaturelle qui se déroule aujourd’hui : c’est avant tout un roman et non pas une histoire des apparitions. Le livre décrit la vie sur l’île, cette petite communauté où chacun se connaît, où il ne se passe rien sauf… sauf avec les apparitions qui viennent bouleverser les esprits. Comme dans son premier roman, Le Bal des folles, dans lequel Victoria Mas avait exploré les relations humaines devant la folie et l’internement, de même ici, c’est la réaction de tous face au surgissement de l’invisible que révèle l’auteur. Chacun est renvoyé à lui-même à partir du récit de l’adolescent au visage « tendre et émouvant ». Et l’action se déroule, ce n’est pas innocent, sur cette terre de croyance et de légendes qu’est la Bretagne : « Les Bretons ne défient pas la nature, ils lui obéissent, écrit Victoria Mas. Ils ont encore le sens du sacré ». Autour du voyant, les foules se rassemblent. Mais qui sait vraiment ce qu’il voit ?

Y croire ou pas

Il faut lire ce livre comme un drame, ou peut-être un huis clos sur l’île de Batz dont l’intrigue mêle les destins des personnages. Ceux-ci sont attachants, bien campés, comme Madenn, la tenancière du dernier café de l’île, qui est un peu une mère de substitution pour Isaac dont la mère est décédée et le père perdu dans le chagrin et l’alcool. Il y a Hugo, ce gamin passionné par le ciel et l’univers dont le père Bourdieu est un catholique fervent, militant, et puis sœur Anne, venue à Roscoff avec toute sa foi et une prédiction : La Vierge Marie doit apparaître en Bretagne. Il n’en faut pas plus pour que l’affaire prenne de l’ampleur. Face à l’événement, chacun se distingue. Entre déni et ferveur, entre irrationnel et croyance, c’est l’histoire personnelle qui se raconte : « C'était une lutte sans vainqueur, deux paroles irréconciliables, la foi et le refus, l'élan vers l'invisible et l'ancrage dans le réel. » On veut des preuves, on cherche le sens. L’invisible fascine et dérange : « Le ciel est particulier là-bas. On a l’impression que c’est lui qui vous regarde, plutôt que l’inverse. »  C’est l’histoire d’un miracle : à vous d’y croire. Ou pas.