"Proust a dit qu'il n'y a rien de plus important que le temps qu'il fait." Philippe Delerm en a fait un recueil, de ces petites phrases anodines auxquelles on n'attache pas d'importance. "Et vous avez eu beau temps ? La perfidie ordinaire des petites phrases" (éd. Seuil) recense avec moquerie et tendresse les expressions minimalistes qui disent tant sur la nature humaine. Avec lui, on comprend que parler du temps qu'il fait c'est anodin : c'est aussi s'intéresser à l'autre avec pudeur.
Volontiers spectateur, c'est-à-dire de tempérament assez contemplatif, Philippe Delerm était professeur de français mais il s'est récemment découvert un goût pour les écrivains classiques, que sont La Fontaine et La Bruyère. Et c'est un peu à la façon des moralistes qu'il recense, un rien moqueur, le meilleur de nos expressions courantes.
Par exemple cette phrase d'une franchise redoutable, le faussement sympathique "Pour être tout à fait honnête avec toi". Rien de plus suspect, si on y réflechit, que ce besoin de "moduler son honnêteté", puisque "les gens qui revendiquent l'honnêteté en général c'est un peu mauvais signe, parce que ceux qui pratiquent cette vertu par définition considèrent l'honnêteté comme une évidence et ne la mettent pas en avant..."
En lisant le livre de Philippe Delerm, on comprend qu'il en faut, de la tendresse et de l'intérêt pour l'autre, si l'on veut s'adonner à l'exercice. "Est-ce que je décrète que j'ai le droit de me faire plaisir ?" : phrase glanée à Paris, rue de Bretagne. Trois jeunes femmes qui discutent entre elles. Décryptage : "Une phrase très parisienne, très bobo, avec un langage assez recherché pour parler de soi" et "derrière cette expression" sentir "la pression" d'un parent, d'une famille, d'un conjoint...
Notre "perfidie ordinaire" a beau être émaillée de nombrilisme, d'égoïsme, de jalousie, elle l'est aussi de peurs et de mélancolie - et c'est avec des yeux moqueurs et tendres que Philippe Delerm les considère. Depuis "La première gorgée de bière et autres plaisirs minuscules" (éd. Gallimard, 1997), qui l'a rendu célèbre, l'écrivain n'a rien perdu de son style incisif et délicat. Dans "Et vous avez eu beau temps ?" on retrouve bien l'auteur de cet aphorisme mélancolique : "Le bonheur c'est d'avoir quelqu'un à perdre." ("Le bonheur - Tableaux et bavardages", éd. du Rocher, 1998).
"Ce qui m'intéresse c'est toujours d'avoir un petit angle d'attaque pour aller chercher ce qui est infime mais qui traduit vraiment quelque chose." En se faisant l'écho de ces expressions fugitives qui rythment subtilement notre quotidien, l'écrivain du "Bonheur" nous parle du temps qui passe. Il est dans la position du poète japonais qui par la brièveté de ses haïkus témoigne d'une prise de conscience que tout est éphémère. D'ailleurs après les mots, l'écrivain qui "aime regarder le quotidien sous tous ses angles" s'intéresse aussi aux gestes. "Les gestes aussi sont extrêmement parlants."
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