A trente ans, Alexandre Poidatz fait partie de cette génération de militants lucides et engagés qui croient encore en un avenir possible sur une planète dévastée. Il a co-fondé en octobre 2023 le collectif Lutte et contemplation, qui réunit des jeunes chrétiens désireux de vivre à la fois la fraternité, la prière et l'action pour la transformation écologique. Il témoigne dans l'émission Commune conversion sur RCF.
Converti au christianisme il y a quelques années, Alexandre Poidatz trouve dans la foi chrétienne une double dimension, spirituelle et communautaire, qui lui donne de la force pour agir et un équilibre de vie. Son engagement pour la justice sociale et la sauvegarde de la création est éclairé et nourri par sa foi chrétienne. L'encyclique Laudato Si , grand texte écologique du pape François, est son texte de référence. Dans l'émission Commune conversion, il témoigne de son itinéraire de jeune chrétien écolo. Il est aussi chroniqueur sur RCF.
Enfant, Alexandre n'était ni écolo, ni chrétien. Aujourd'hui, il est les deux et cette double caractéristique est même la colonne vertébrale de son existence. A 30 ans, celui qui a grandi en Haute-Savoie d'un père français et d'une mère libanaise passe la majorité de son temps à travailler pour une ONG comme responsable de plaidoyer sur des enjeux environnementaux et sur les inégalités sociales et économiques. "Dans ce travail, explique-t-il, je vise à promouvoir la transition écologique auprès de décideurs politiques et économiques, des personnes qui ont le pouvoir." Mais pour lui, l'écologie n'est pas seulement politique, elle doit aussi être humaine, c'est-à-dire attentive aux relations : à soi, aux autres, à Dieu et à la planète.
En septembre 2023, Alexandre a vu aboutir une initiative dont il est l'un des co-fondateurs : le collectif Lutte et contemplation. Il explique : "Lutte et contemplation c'est un collectif chrétien, qui a pour but de se mobiliser sur les enjeux écologiques et sociaux. Il y a deux vocations : une vocation à faire communauté entre chrétiens qui sont sensibles aux enjeux économiques et sociaux, qui sont déjà engagés, mais qui espéraient trouver un lieu de ressourcement. Et c'est aussi un lieu de lutte, dans le sens où nous souhaitons interpeller les personnes qui ont du pouvoir, c'est-à-dire les décideurs politiques et économiques mais aussi ecclésiaux, pour que ces personnes-là prennent position pour faire changer les structures."
J'entends un discours dominant qui dit : changez-vous vous-même avant de changer le monde. Je ne suis pas d'accord avec ça.
Lutte et contemplation est né de la rencontre entre des jeunes qui, comme Alexandre avaient "le désir de relier écologie humaine et écologie politique". Car pour lui, l'institution ecclésiale "n'est plus un lieu qui invite à s'engager dans le monde. J'entends, ajoute-t-il, un discours dominant qui dit : changez-vous vous-même avant de changer le monde. Je ne suis pas d'accord avec ça. J'aime beaucoup la phrase d'Emmanuel Mounier qui dit : on ne possède en réalité que ce que l'on donne. Et je crois vraiment qu'en s'engageant dans la société on se nourrit soi-même mais aussi en se nourrissant soi-même on va pouvoir s'engager dans la société. C'est une dynamique entre les deux."
Si aujourd'hui engagement pour l'écologie et la justice sociale et foi chrétienne sont intimement liés dans la vie d'Alexandre, dans son histoire le premier a précédé la seconde. A 16 ans, il entre en écologie par les enjeux de justice sociale, en 2008, au moment de la crise des subprimes. Le lycéen est révolté "de voir que des millions de personnes se retrouvaient à la rue à cause de quelques banquiers. J'ai eu une vraie révolte face au système économique." C'est un peu plus tard, lors de la Cop 21 en 2015 à Paris, mais surtout en travaillant dans l'ONG au sein de laquelle il exerce encore aujourd'hui, qu'il commence prendre conscience des enjeux climatiques. "J'ai réalisé, confie-t-il, que les racines du problème du système économique qui créent des inégalités et de la pauvreté étaient les mêmes qui alimentaient la crise climatique."
lorsque je vois des injustices, ça me donne une énergie très forte, une espèce de sens à ma vie
Loin de l'abattre, le sentiment d'injustice qui désormais ne va cesser de l'habiter, est un moteur : "j'ai cette chance : lorsque je vois des injustices, ça me donne une énergie très forte, une espèce de sens à ma vie." Il lit alors beaucoup et l'économie et la politique deviennent des passions qui ne le lâcheront plus. Elles sont pour lui les clés du changement. "Je veux pouvoir influencer ces sphères qui ont du pouvoir pour changer la vie des gens".
Il insiste sur le fait que la responsabilité d'une personne est proportionnelle au pouvoir qu'elle détient. Et dans son travail, il a l'opportunité de rencontrer des personnes qui ont beaucoup de pouvoir, par exemple des patrons d'entreprises du CAC 40. Quel regard porte-t-il sur elles ? "Je suis un peu révolté parce que je me dis : quelle tristesse que ces personnes qui ont du pouvoir et qui pourraient changer notre vie et nous emmener vers un chemin joyeux, de réconciliation les uns avec les autres, où il y a moins d'individualisme et de pauvreté, se sentent elles-mêmes incapables et ont des attitudes assez puériles. Mais ça me rend aussi hyper-optimiste parce que je me dis : qu'est-ce qui se passerait s'ils commençaient à changer leurs façons de penser et leurs pratiques. Le jour où ça arrivera, il y aura un effet domino et on verra des choses magnifiques se produire."
je crois que pour dépasser notre impuissance collective il faut justement agir collectivement
Mais il sait que le changement n'est pas pour tout de suite : "il y a de petites choses qui avancent à droite à gauche mais (...) globalement on n'a pas du tout pris un nouveau virage d'organisation de nos sociétés qui soit juste, qui respecte plus les plus pauvres et les plus marginalisés et qui respecte plus la planète." Pour lui, pour avancer il faudrait sortir de la "crise de l'individualisme" dans laquelle beaucoup de citoyens sont devenus "des personnes qui sont habituées dans ce système néolibéral depuis trente ans à être démunies face à des actions collectives et à se dire que c'est d'abord moi à mon échelle qui dois agir. Alors, affirme-t-il, que je crois que pour dépasser notre impuissance collective il faut justement agir collectivement."
Le collectif, la dimension communautaire, c'est justement ce qu'il a trouvé dans le christianisme, suite à sa conversion il y a quelques années, après une expérience de rencontre avec Dieu à l'âge de 22 ans, alors qu'il était étudiant en Angleterre : "une rencontre avec Dieu, l'expérience d'un amour infini qui m'enveloppe." Et il ajoute : "Je n'ai pas tout de suite conscientisé ce que c'était." Petit à petit il découvre la figure du Christ et c'est au sein de Fondacio, une communauté chrétienne d'inspiration ignatienne (spiritualité d'Ignace de Loyola, fondateur des jésuites), qu'il approfondit sa foi naissante.
Et cela change la donne : "j'étais déjà militant, très engagé sur des enjeux de justice mondiale, la politique, la lutte contre le réchauffement climatique, les inégalités. Ca m'anime encore aujourd'hui, mais avec la rencontre du Christ j'ai appris qu'il y avait aussi une écologie humaine. Il y avait quelque chose que je cherchais depuis que j'avais 16 ans, je sentais bien que parfois dans mes relations aux autres où même avec moi-même j'étais dans quelque chose qui n'était pas ajusté. C'est là où j'ai vraiment lié les deux et Laudato Si, l'encyclique du pape a été le ciment dans ma vie, qui a permis de tout lier : à la fois de dire c'est juste ce que tu fais dans ton travail, de lutter contre les injustices structurelles, mais il y a aussi une écologie humaine du quotidien, de ta relation avec toi-même, de ralentir le rythme, de prendre le temps, de ne pas t'épuiser, de faire attention au burn-out. Et vis-a-vis des autres de dire : aller à une manifestation climat, si tu passes à côté du SDF il y a quelque chose qui n'est pas très humain et pas très cohérent. La lecture de Laudato si m'a permis de lier tout ça et de dire au final la justice chrétienne n'existe pas sans amour - de soi-même, des autres et de Dieu."
La figure du Christ l'inspire avant tout par son authenticité, "le regard qu'il porte à chaque être humain. Le soin que le Christ prend de chacun et le fait qu'il prend son temps pour faire les choses : quand il se dévoile en tant que fils de Dieu, il a 30 ans". Or, "une des façons de lutter contre le système en place et contre le réchauffement climatique c'est de ralentir le rythme". Et puis "il lutte contre les structures, il n'est pas là juste pour faire un témoignage d'écogestes... il chasse les commerçants du temple". Il y a une dimension politique dans l'attitude du Christ : "politique dans le sens où la politique c'est l'organisation de la société, c'est comment les êtres humains interagissent les uns avec les autres, font communauté. Le Christ nous invite à faire communauté, à nous relier les uns les autres, à découvrir que un + un font trois. Donc oui, pour moi c'est un témoignage fortement politique."
Peut-on être chrétien sans être écolo ? Est-ce un choix personnel ? "Qui suis-je pour juger" commence par répondre Alexandre qui souhaite "faire preuve d'humilité." Cependant, pour lui, "évidemment un chrétien doit être écolo." Parce que "la foi chrétienne nous apprend que nous sommes une civilisation de l'amour et l'amour c'est se relier les uns aux autres." Et il ajoute : "Je ne comprends pas comment, en tant que chrétien, on peut ne pas être sensible à l'écologie, c'est-à-dire à se relier à la création et continuer d'accepter la destruction du vivant et le fait que les conditions de vie sur terre alimentent des inégalités qui vont créer des fracturation entre les individus. Donc pour moi les chrétiens doivent à la fois être dans une écologie politique - de dire il faut lutter contre le réchauffement climatique - mais aussi dans une écologie humaine - de dire il faut se relier les uns les autres, faire preuve d'accueil et d'humanité."
-> Pour aller plus loin : Tous les catholiques n'ont pas lu Laudato Si
Convaincu de la nécessité de l'engagement écologique, Alexandre tient pourtant à entrer en dialogue avec celles et ceux qui ne pensent pas comme lui. Un désir qui lui vient de sa démarche de foi : "C'est vraiment quelque chose que j'ai appris : ne pas faire preuve de violence mais de fermeté, mais aussi d'écoute, d'empathie, de compassion, de dialogue. J'aime beaucoup le dialogue, ça fait partie de mon travail, je me confronte avec des personnes avec lesquelles je ne suis pas du tout d'accord, qui ont beaucoup de pouvoir et qui peuvent être très cyniques. Je crois quand même profondément que chaque être humain tend plutôt à vouloir aimer et à faire du lien. Je crois que les moyens et l'objectif doivent se rejoindre et que la forme est importante. Parfois ça demande beaucoup d'écoute, d'énergie et ça peut me bouleverser intérieurement et me révolter, mais j'essaie au maximum de discuter avec les personnes des chapelles anti-écolo que ce soit au sein de la société ou au sein de l'église."
Alexandre Poidatz en 9 questions-réponses
Un texte inspirant "L’amour, fait de petits gestes d’attention mutuelle, est aussi civil et politique, et il se manifeste dans toutes les actions qui essaient de construire un monde meilleur. L’amour de la société et l’engagement pour le bien commun sont une forme excellente de charité qui, non seulement concerne les relations entre les individus mais aussi les « macro-relations: rapports sociaux, économiques, politiques».[156] C’est pourquoi, l’Église a proposé au monde l’idéal d’une « civilisation de l’amour ».[157] L’amour social est la clef d’un développement authentique : « Pour rendre la société plus humaine, plus digne de la personne, il faut revaloriser l’amour dans la vie sociale — au niveau politique, économique, culturel —, en en faisant la norme constante et suprême de l’action ».[158] Dans ce cadre, joint à l’importance des petits gestes quotidiens, l’amour social nous pousse à penser aux grandes stratégies à même d’arrêter efficacement la dégradation de l’environnement et d’encourager une culture de protection qui imprègne toute la société. Celui qui reconnaît l’appel de Dieu à agir de concert avec les autres dans ces dynamiques sociales doit se rappeler que cela fait partie de sa spiritualité, que c’est un exercice de la charité, et que, de cette façon, il mûrit et il se sanctifie." Laudato si 231.
"Ca résume bien ma relation à l'environnement, à l'écologie. Je pense que Laudato Si a été pour moi l'un des textes les plus importants dans une forme de conversion à la fois spirituelle et écologique. Ce passage qui parle de l'amour résume une écologie qui n'est pas juste une écologie militante, politique, mais aussi une écologie humaine, faite de liens et qui se noue par l'amour."
Quand j'étais petit "J'ai grandi en Haite-Savoie, j'ai eu la chance de faire du curling et du ski en EPS à l'école et de vivre dans ces montagnes de Haute-Savoie qui me sont très chères, très spirituelles d'ailleurs."
Si je vous dis écologie "L'écologie c'est habiter le monde, c'est prendre soin de la maison commune, c'est à la fois organiser des organisations systémiques entre nous et le vivant mais aussi entre nous les êtres humains."
Si je vous dis conversion "J'entends à la fois conversion spirituelle, intérieure et conversion écologique aussi, donc de notre rapport à soi-même, aux autres et au monde qui nous entoure".
Si je vous dis commun "La Maison commune, prendre soin de la Maison commune".
Une figure inspirante "J'ai envie de parler de Suzan Strange, une intellectuelle anglaise, journaliste, seule journaliste femme à Bretton woods en 1944, qui a fondé par la suite le courant de pensée qui s'appelle "l'économie politique internationale", en Angleterre, dans les années 70-80 et qui visait à critiquer l'économie néo-libérale telle qu'elle s'est développée à ce moment-là, qui disait que l'individu a juste pour objectif de maximiser son profit. Elle a créé un courant de pensée qui permettait de voir une autre vision du monde."
Je rêve de... "Je rêve qu'on puisse qu'on puisse tous travailler moins. Je rêve d'une semaine de travail à 15 heures, comme j'ai pu lire dans un roman qui s'appelle "Paresse pour tous" que je recommande à tout le monde".
Mon pire cauchemar "C'est d'être seul c'est-à-dire sans aucune relation sociale, qu'elle soit familiale, amicale ou amoureuse".
Quand je serai vieux "J'imagine tout de suite des enfants, une vie de famille... à la campagne, en train de lire des livres."
|
RCF est une radio associative et professionnelle.
Pour préserver la qualité de ses programmes et son indépendance, RCF compte sur la mobilisation de tous ses auditeurs. Vous aussi participez à son financement !