Quel bilan tirer de la COP27, qui s'est achevée ce vendredi 18 novembre ? On peut saluer des avancées sur la justice climatique. Après 30 ans d’attente, les pays dits en développement touchés par des catastrophes climatiques - montée des eaux, ouragan dévastateur… - vont enfin avoir un fonds financier pour les aider dans leurs réparations. Mais on peut regretter en revanche aucune avancée du côté des énergies fossiles et des causes du réchauffement.
S’il faut retenir les deux avancées de ce rendez-vous égyptien, citons le maintien de l’objectif de limiter à 1,5 degrés le réchauffement climatique ; une position qui avait été réaffirmée quelques jours plutôt lors du G20 à Bali. Ce n’était pas gagné : de nombreux scientifiques mais aussi pays producteurs de pétrole s’étaient mobilisés durant cette quinzaine pour rehausser cette limite à 2 degrés.
Également, les pays vulnérables vont enfin être bénéficiaires prioritairement d’un fonds pour financer les "pertes et préjudices". Cette revendication date de 1992, au titre de ce qu’ils appellent "la dette climatique" des pays riches. Cette initiative a été portée par l’UE et tardivement par la France. Il reste maintenant à le définir : qui pourra en bénéficier, qui l’abondera ? Les pays historiquement responsables du réchauffement climatique ou également les pays émergents pollueurs actuels ? Et quels financements ? (FMI, banques multilatérales, taxes entreprises pétrolières…). L’accord reprend en tout cas les priorités annoncées par Emmanuel Macron et la première ministre de la Barbade en début de COP, en vue du sommet de juin 2023 pour réformer la Banque mondiale et le FMI sur les questions de la finance climat.
Mais le point critique de ce rendez-vous annuel reste l’absence de sortie annoncée des énergies fossiles. La ministre de la Transition énergétique Agnès Pannier-Runacher, à la sortie des négociations dimanche matin, parlait de "manque d’ambition de la résolution finale pour réduire les gaz à effet de serre". "Il faut aller plus loin, a-t-elle dit, notamment sur les contributions déterminées au niveau national (NDC en anglais), sur la sortie des énergies fossiles, et sur la reconnaissance de la position du GIEC comme quoi en 2025, nous devons avoir atteint notre pic de gaz à effet de serre pour l’ensemble de la planète."
Retenons tout même que c’est la première fois dans l’histoire des COP qu’un pays émergent comme l’Inde, gros producteur de charbon, demandait une telle sortie des énergies fossiles : un véritable pavé dans la mare, dans la continuité de Glasgow qui déjà avait mentionné la sortie du charbon dans la résolution finale de la COP26. Pour certains, c’est la fin d’un tabou, qui doit encore mûrir.
Également, pas d’avancée pour porter l’enveloppe financière annuelle de 83 à 100 Mrd$ promise depuis 2009, pour financer l’adaptation et l’atténuation des pays vulnérables au changement climatique. Un chiffre à comparer avec celui du coût d’envoi de la Coupe du monde de football ce dimanche qui atteint 200 Mrds$.
Cette fin de COP a été marquée par un vrai retournement de stratégie géopolitique sur le point majeur de crispation de la quinzaine : le fonds pour les "pertes et préjudices". À vouloir s’affirmer comme un leader du climat (déjà l’UE avait annoncé en Égypte qu’elle accélérait ses diminutions de gaz à effet de serre (GES) de 55 à 57% d’ici 2030), Frans Timmermans, vice-président de la Commission, n’a pas hésité à bousculer les cartes jeudi 17 novembre. Le matin, l’UE, la Chine et les US étaient encore contre un fonds dédié aux "pertes et préjudices". Dans l’après-midi, Frans Timmermans créait la surprise en proposant 60 M€, logés dans un fonds spécifique ; une position impensable il y a encore quelques semaines.
La France prend la nuit pour y réfléchir, les US et la Chine s’enferment 3 heures dans une salle de négociation pour en discuter. Pour Stéphane Crouzat, ambassadeur français des négociations climatiques, "l’UE a senti qu’il fallait jouer son va-tout, si on voulait aboutir à une résolution finale. Les États insulaires avaient déjà annoncé qu’ils bloqueraient les négociations si rien n’avançait sur ce sujet." Et l’UE sait qu’elle a besoin des pays du Sud pour les ressources énergétiques et les minerais rares. Trois jours après, la proposition était acceptée dimanche 20 novembre matin, dans un silence assourdissant de la Chine et des États-Unis.
Pour faire face aux "pertes et préjudices", d’autres mécanismes ont été actés en-dehors de l’adoption à l’unanimité de la résolution finale et dans la cadre de négociations multilatérales. La France, l’Allemagne, le Danemark, la Canada, l’Irlande et les USA ont annoncé la création d’un "bouclier de protection mondiale". Ce mécanisme, doté notamment de 20 M€ de la France, est basé sur un modèle assurantiel et permet de diversifier les outils financiers. Et le réseau Santiago a été acté : il permettra d’évaluer les pertes et préjudices après chaque catastrophe climatique et de chiffrer les solutions pour y faire face. Les femmes et les peuples autochtones y seront représentés.
Également, les partenariats de transition énergétique juste (Jetp), imaginés à Glasgow, avancent. Le premier concerne l’Afrique du Sud, soutenu par les États-Unis et l’UE, qui a franchi une étape : l’Afrique du Sud a présenté cette année un plan d’investissement et l’UE a apporté une promesse financière. Les annonces sont ainsi suivies de concrétisation, même si le président sud-africain estime que ce n’est pas suffisant. Et un nouveau Jetp en faveur de l’Indonésie est annoncé, financé par le Japon, avec 20Mrds$ publics et privés.
"Ces étapes sont assez marquantes de la reconstruction de la confiance entre les pays du Nord et ceux du Sud", comme le souligne Sébastien Treyer, directeur de l’Iddri (Institut du développement durable et des relations internationales) : "Ça passe aussi par la réforme des banques multilatérales de développement, pour répondre aux besoins massifs d’investissement dans les pays du Sud de 2000 Mdrs$/an, évoqués par le rapport Stern. Le G20 de Bali a annoncé que l’on va dans ce sens."
En-dehors de la finance climat, citons une coalition entre la République démocratique du Congo (RDC), le Brésil et l’Indonésie pour préserver leurs forêts, soit 52% des territoires forestiers de la planète, menacés par des projets d’exploitation pétrolière et gazières. La présidence égyptienne de la COP27 a lancé l’ACE (Action for Climate Empowerment), une plateforme dédiée à l’engagement de la société civile, garantissant que leurs points de vue soient intégrés dans les négociations climat. L’Organisation météorologique mondiale (OMM) a lancé AWARe (Action on Water Adaptation or Resilience) : une initiative qui soutiendra la coopération inclusive pour relever les défis liés à l’eau. D’autres initiatives ont eu lieu en faveur des fonds marins, ou encore l’électricité, les transports routiers, l’agriculture ou l’hydrogène.
La présence de la société civile, égyptienne et internationale, jeunes, peuples natifs, entreprises, scientifiques, religieux a toujours été intense, avec des manifestations au cœur de la COP, une première. La venue du président brésilien Lula a été un point d’orgue : il a annoncé que son pays remettait la protection de l’Amazonie au cœur de ses préoccupations, avec la création d’un ministère dédié aux peuples autochtones.
Le rôle de l’Église n’est pas en reste avec une déclaration en début de COP du pape François qui a rappelé les catholiques à l’encyclique Laudato Si' de 2015, sur la sauvegarde de la "maison commune". Le même jour, des activistes catholiques pour le climat se rendaient au mont Sinaï pour briser des tables de la loi afin de dénoncer l’inaction des dirigeants rassemblés à 200 kilomètres de là, à Charm el-Cheikh. Et la Conférence épiscopale nationale du Congo s’est mobilisée dans l’accord sur la protection des forêts du bassin du Congo, Brésil et Indonésie.
Chaque COP est différente en fonction du pays d’hôte. Si l’année dernière à Glasgow, la présidence a été saluée pour sa capacité à tenir les délais de négociations et à résister aux lobbys, ce fut tout l’inverse en Égypte. Dès le début, la logistique – approvisionnement en eau, accès des ONG aux salles de négociation – a posé problème. Le pavillon allemand s’est plaint d’être surveillé par le gouvernement égyptien. Sans parler de l’arrivée tardive en 2e semaine des projets de résolution finale qui a contraint les négociations à se tenir dans un délai record. Ces projets de textes faisaient même grincer, tant ils étaient vides de l’évolution des avancées des négociations, avec contre-sens et fautes de frappe. De nombreux soupçons ont pesé sur la présidence de ne pas vouloir mentionner la sortie des énergies fossiles, sous pression des pays producteurs de pétrole, tels l’Arabie saoudite, les États-Unis, la Russie ou certains États insulaires.
D’une année sur l’autre, les avancées restent indéniables, même si pour le grand public lointain, les concrétisations peinent à être vues et ressenties dans son quotidien. Mais il faut bien saisir que la lutte contre le réchauffement climatique ne peut pas passer que par des changements d’habitudes individuelles. Pour un vrai retournement de situation, cela passe par des négociations qui semblent stratosphériques mais qui sont essentielles. Cela concerne notamment l’argent, avec la réforme des banques de développement et des mécanismes de financements massifs pour faire face aux catastrophes climatiques et s’adapter au réchauffement.
Cela passe aussi par une évolution – et c’est nouveau de cette COP – du rapport de force Nord-Sud. Jusqu’à maintenant, les pays du Sud – Chine compris - estimaient que seuls les pays du Nord devaient payer à cause de leur responsabilité historique dans l’émission des GES. Or, cette semaine, Frans Timmermans a proposé une nouvelle grille de lecture : les pays émergents pollueurs doivent maintenant mettre la main à la poche. "De quoi remettre en cause le principe de responsabilité commune différencié qui date d’il y a 30 ans et qui s’appuie sur des rapports de force coloniaux.", souligne Lola Vallejo de l’Iddri. Ce qui n’est pas du goût de la Chine qui estime en faire assez avec son investissement dans la route de la Soie dans les pays vulnérables.
En cette clôture de COP27, les ONG espéraient aussi une plus forte prise en compte de la protection et restauration des écosystèmes naturels (la première fois date de la COP26). "C’était l’occasion que les pays de la COP27 appellent à adopter à Montréal lors de la COP15 un accord ambitieux pour inverser l’effondrement de la biodiversité d’ici 2030, afin d’avoir plus de nature en 2030 qu’en 2020", insiste Arnaud Gilles du WWF. Mais rien n’a été inscrit dans la résolution finale. La COP15 va donc s’ouvrir au Canada, sous la présidence chinoise du 7 au 19 décembre, mais sans soutien de la COP27 et boudée pour l’instant par les chefs d’États.
La prochaine COP Climat, la COP28 se tiendra à Dubaï en novembre 2023. Il est attendu une avancée de la mise en place des marchés carbones article 6 de l’accord de Paris, pour offrir de nouvelles sources de financements aux pays vulnérables dans le respect des droits humains. Également, la pression sur la sortie des énergies fossiles devrait se resserrer. Surtout, le bilan mondial (ou Global Stockstake) des engagements des pays va être réalisé. Il va recommander aux États leurs priorités pour accélérer la réduction des GES. Après l’année 2022 d’une pénible mise en œuvre de l’accord de Paris, 2023 pourrait être l’année de la redevabilité qui mesurera les efforts ou non des pays pollueurs.
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