Pour évoquer l'actualité écologique du mois d'octobre, nos intervenant.e.s optent pour une approche sensible, de nature selon eux, à permettre d'entrer plus facilement dans les questions écologiques pour ensuite agir à la hauteur des enjeux. C'est aussi là, dans la poésie et l'émerveillement face au vivant, que peut se tisser un nouvel imaginaire, seul à même de porter un réel changement de nos modes de vie.
La mortalité des forêts françaises a bondi de 80% en 10 ans : c'est ce qu'indique l’inventaire forestier national 2023 de l’IGN paru mi-octobre. Comment commenter cette information ? Stacy Algrain opte pour la poésie et l'émerveillement devant la forêt. Pourquoi cette démarche ? "On est beaucoup dans l'indignation, témoigne cette jeune militante, fondatrice du média en ligne La Corneille, dédié à la biodiversité. "En réaction à des événements durs à encaisser, douloureux notamment sur la vision assez terrible que ça peut nous apporter sur le monde, se faire du bien c'est aussi nécessaire si on veut continuer à nourrir ses réflexions sur le climat et sur le vivant. On a une chance avec ces enjeux de biodiversité dans le sens où c'est une nouvelle porte sur les enjeux environnementaux : le climat c'est quelque chose de froid, assez technocratique, alors que vraiment sur le vivant on a toutes et tous des souvenirs, des fragments de mémoire qui nous connectent à des forêts, au littoral, à des choses qu'on partage aussi avec des membres de notre famille."
Militant écologiste de longue date, François Mandil croit aussi en la force de cette approche poétique. "Bien sûr la forêt nous apporte du bois, de la biodiversité, mais ça apporte aussi de l'apaisement... des choses qui ne sont pas quantifiables et qui sont indispensables" affirme-t-il. Et d'ajouter : "Je suis toujours émerveillé en forêt : je trouve ça d'une force incroyable un arbre qui est là depuis bien plus longtemps que nous et qui nous regarde avec bienveillance, comme des grands-parents qui savent qu'ils seront là plus longtemps que nous". Avant de citer Martin Luther : "même si le monde devait disparaître demain je planterais encore un arbre aujourd'hui."
Pour Florence Gault, journaliste indépendante qui travaille sur les enjeux de la transition écologique et réalise le podcast En un battement d'aile, cette approche sensible et poétique des enjeux écologiques "peut être une bonne porte d'entrée pour des gens qui n'ont peut être pas envie tout de suite qu'on parle d'émissions carbone, de réduction de nos émissions de CO2, etc, parce que c'est un peu lointain, qu'on ne sait pas par où commencer". Elle a notamment eu l'occasion de rencontrer beaucoup de parents qui "se mettent à aller chercher ce rapport avec la forêt, l'environnement, pour que leurs enfants ne grandissent pas seulement dans le béton en ville. Ils vont se promener et du coup ça pose un certains nombre de questions et ils en arrivent à s'intéresser aux défis auxquels on doit faire face aujourd'hui."
L'expérience sensible s'incarne parfaitement dans la poésie qui permet de la mettre en mots. Et les mots peuvent être vecteurs du changement. C'est pour cela que le nouveau texte du pape François sur l'écologie, l'exhortation apostolique Laudate deum, parue le 4 octobre, est unanimement saluée par nos commentatrices et commentateur de l'actualité écologique du mois. Estimant que la transition ne se fera pas sans un changement d'imaginaire, un changement de culture, Stacy Algrain explique que c'est pour cela qu'elle juge important que des textes comme Laudate deum existent : "c'est comme ça je pense, qu'on fera changer notre culture, à l'échelle d'une nation, à l'échelle du monde, en recréant des liens entre les communautés, en montrant que les mots aussi ont une puissance. Et je pense que les religions le montrent puisque ce sont des textes qui rassemblent et qui permettent de transmettre une histoire et une mémoire collective que je trouve hyper importantes aujourd'hui."
De Laudate deum, François Mandil retient lui la colère : "la colère de quelqu'un qui a écrit un texte très fort il y a 8 ans et qui se rend compte que ça n'a pas bougé, au sein même de son Eglise notamment. Et donc qui envoie un nombre de phrases bien senties très fortes. J'en retiens une saine colère". Il souligne aussi le soutien du pape aux groupes "dits radicalisés". Et il témoigne : "c'est important quand on est militant actif sur le terrain d'avoir ce type de soutien quand dans le même temps, de façon beaucoup moins responsable, on a un gouvernement qui n'a pas d'autre solution que de traiter tout le monde de terroriste. Ce n'est pas rien comme soutien. De la même façon qu'après Laudato Si il y avait eu beaucoup de groupes chrétiens qui s'étaient mis en place, là Laudate Deum vient nourrir et renforcer une nouvelle génération de plus jeunes chrétiens écolos, engagés, qui étaient enfants au moment de Laudato si. Ca vient relancer et ça fait beaucoup de bien."
La parole du pape sera-t-elle assez forte pour changer la donne et peser par exemple sur la Cop 28 ? Difficile à dire. Mais pour Florence Gault, il est clair que pour faire avancer la prise en compte de l'urgence écologique et la réponse concrète à y apporter, les mots ont un rôle majeur. Parce qu'ils peuvent porter un nouvel imaginaire. "Je ne vois pas, explique-t-elle, comment pour pouvoir répondre à ces défis, on peut embarquer les gens en leur proposant un imaginaire dystopique. Il y a vraiment une autre approche à imaginer y compris dans le traitement médiatique : comment nous, media, on aide les gens à comprendre le monde dans lequel on est en train de vivre et comment on va pouvoir s'adapter à ce réchauffement climatique et aux conséquences sur notre planète et dont nous sommes à l'origine. Quel vocabulaire employer ? Le choix des mots est extrêmement important et nous journalistes avons une responsabilité à ce sujet." En tant que journaliste, elle estime que son rôle est de "mettre en perspective" par exemple un dossier comme celui-ci de l'A69 au regard des enjeux écologiques, rappeler par exemple le fait que les émissions liées aux transports routier continuent d'augmenter, alors que "pour rappel, nos émissions doivent avoir baissé de 55% en 2030 par rapport à 1990. Ce ne sont pas des militants qui le disent, ce sont des engagements pris par 193 Etats dont la France."
Pour Stacy Algrain, "le rôle des media c'est de visibiliser les luttes pour rappeler que s'engager sur les questions environnementales, ce n'est pas uniquement être à Paris pour faire du lobbying, ce n'est pas uniquement être présent dans les COP et faire partie de ce monde des puissants, mais c'est aussi se rendre compte qu'on a un lien avec son territoire, qu'on a donc des droits sur les politiques qui sont appliquées, sur l'avenir de son territoire." Et pour elle, sur le dossier de l'A69, l'argument du désenclavement d'un territoire, en l'occurrence le sud du département du Tarn, est fallacieux : "ce qui me frappe, dit-elle, c'est que sur ce projet on utilise toujours la question du désenclavement, d'avoir à coeur les intérêts des populations parfois moins aisés, des classes plus populaires et pour moi c'est un peu emblématique de la manière dont on perçoit ces classes populaires dont je fais partie : on est un peu des boucliers au moment où ça paraît opportun de nous mentionner. Mais quand on avait des délocalisations à l'autre bout du monde parce que ça coûtait moins cher aux industriels de faire travailler des personnes en Thaïlande, aux Philippines, etc, personne ne s'opposait à ce type de projet parce qu'on disait que c'était au nom de l'économie de marché, de la compétitivité." Pour François Mandil, non seulement l'argument du désenclavement est à géométrie variable, mais en plus il ne correspond pas à la réalité : "ça fait 80 ans qu'au nom du désenclavement on crée des LGV qui traversent des territoires sans s'arrêter, on crée des autoroutes, on favorise l'utilisation de la voiture individuelle. Est-ce qu'il y a aujourd'hui un territoire rural en France que ça a sauvé ? Pas un. Donc en plus c'est faux de dire en permanence il faut aller plus vite et plus facilement d'une grande ville à l'autre et ça désenclavera. En fait ce n'est pas vrai, il y aura toujours plus gros, plus rapide ailleurs. La vraie question du désenclavement c'est comment on remet de la vie dans les territoires ruraux et sûrement pas en faisant à nouveau des infrastructures qui détruisent la biodiversité et nous obligent de nouveau à utiliser la voiture individuelle."
Nos trois intervenant.e.s sont également marqués par le fait que des scientifiques soutiennent la mobilisation contre l'A69. "Avoir cette parole scientifique aux côtés des militants c'est une manière de rappeler que la lutte n'est pas idéologique, qu'elle n'est pas là pour essayer d'opposer deux mondes mais elle est surtout là pour s'ancrer dans un constat concret qui est physique, qui est climatique et basé sur les enjeux de biodiversité" affirme Stacy Algrain. Pour François Mandil, si les scientifiques se positionnent ainsi, c'est pour dire "ce n'est plus possible." Parce que, affirme-t-il, en réalité, "le projet d'autoroute ne fait pas débat : tout le monde est d'accord que c'est une idiotie. A part quelques élus locaux et le gouvernement. Quand vous écoutez Clément Beaune, le Ministre des Transports, la seule justification qu'il donne à ce projet c'est : les élus locaux l'ont voté, on ne peut pas dédire des élus locaux. C'est lunaire ! Au regard des changements climatiques, de l'urgence... Même un projet de 50 kilomètres de béton on n'est pas capable d'y renoncer ? Ca illustre bien à quel point on n'est pas prêt au cataclysme climatique. Cette opposition à l'A69 n'est pas seulement celle de quelques militants radicaux !"
Cette émission interactive de deux heures présentée par Melchior Gormand est une invitation à la réflexion et à l’action. Une heure pour réfléchir et prendre du recul sur l’actualité avec des invités interviewés par Véronique Alzieu, Pauline de Torsiac, Stéphanie Gallet, Madeleine Vatel et Vincent Belotti. Une heure pour agir, avec les témoignages d’acteurs de terrain pour se mettre en mouvement et s’engager dans la construction du monde de demain.
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