Dans l'actualité du mois de février, de nombreux sujets témoignent de la difficulté à reconnaître l'urgence écologique et à y répondre. C'est vrai dans le domaine agricole mais aussi par exemple en ce qui concerne les sports d'hiver. Pourquoi ce déni et comment en sortir ? Eléments de réponse dans l'émission Je pense donc j'agis présentée par Anne Kerléo et Melchior Gormand.
Que ce soit à propos de la crise agricole ou sur d'autres sujets d'actualité, la difficulté de sortir du déni de l'urgence écologique est présente. Et le traitement médiatique peine à s'extraire de réflexes qui contribuent à ce déni. C'est ce qu'observent les contributeurs de l'émission Je pense donc j'agis, invités à commenter l'actualité de l'écologie du mois de février 2024.
Présente au week-end d'ouverture mouvementé du Salon de l'Agriculture, Justine Guitton-Boussion, journaliste à Reporterre, dit avoir rencontré des agriculteurs qui "ont envie eux aussi de faire une transition écologique dans leur métier" et qui "n'ont pas forcément envie d'abaisser les normes environnementales". Selon elle, même si le gouvernement met en avant cet élément "ce n'est pas tant que ça quelque chose que les agriculteurs demandent". Et elle précise : "la plupart des demandes portent sur le revenu, pas sur les pesticides. Samedi, plusieurs agriculteurs m'ont dit : nous ça nous met mal de porter une vision de nous dans la société de personnes qui voudraient continuer à utiliser des pesticides, ça redonne une image d'empoisonneurs."
Je suis toujours frappé de la place que peut prendre la FNSEA qui porte la responsabilité de ce modèle à bout de souffle.
Et pourtant, le traitement médiatique du mouvement de révolte des agriculteurs peut parfois donner le sentiment que la question des pesticides et du refus des normes environnementales est majeure. Pourquoi cette focalisation ? Pourquoi le gouvernement a-t-il reculé sur les pesticides par exemple ? "On a l'impression que c'est une demande portée par les plus grands agriculteurs, ceux qui ont de grandes surfaces céréalières", analyse Justine Guitton-Boussion, qui rappelle qu'Arnaud Rousseau, le président du syndicat majoritaire FNSEA est lui-même grand céréalier. Et François Mandil, militant écologiste de s'étonner : "je suis toujours frappé de la place que peut prendre la FNSEA qui contrôle les chambres d'agriculture, qui a eu des ministres depuis des années et qui porte la responsabilité de ce modèle à bout de souffle et qui continue à faire la pluie et le beau temps".
Une autre explication du décalage entre la réalité de le situation des agriculteurs et de leurs revendications et la compréhension que l'on en a globalement tient sans doute à la complexité des enjeux agricoles et à la difficulté du grand public et même des médias à les comprendre. "On a une vision simpliste du monde agricole, parce qu'aujourd'hui la proportion de paysans et paysannes dans la population active est assez faible", analyse François Mandil. "Et même si fondamentalement les français sont très attachés à ce monde agricole, je me demande si ce n'est pas une vision assez simpliste, alors qu'il y a énormément de modèles différents".
Il y a aujourd'hui dans les médias un vrai besoin d'être formés accompagnés sur ces enjeux pour bien les maîtriser.
D'où l'importance d'une bonne information à travers les médias. Et pour Florence Gault, journaliste indépendante, spécialisée sur les enjeux de transition écologique et solidaire, créatrice du podcast En un battement d'ailes, "il y a aujourd'hui dans les médias un vrai besoin d'être formés accompagnés sur ces enjeux pour bien les maîtriser, comprendre les différents modèles agricoles qui existent. Il faut pouvoir aller sur le terrain, comprendre à quels enjeux écologiques ça peut répondre et en quoi cette transition est nécessaire". Elle estime cette formation des journalistes indispensable pour "réussir à traiter de ces enjeux qui sont complexes, où il n'y a pas de réponses toutes simples ou de solution miracle. Les réponses sont multiples parce que c'est une crise multifactorielle."
S'il est capital que les médias fournissent un vrai travail de décryptage et d'analyse de la crise agricole, leur rôle peut aussi être de mettre en lumière des projets et des réalisations porteurs de nouveaux modèles de nature à répondre à la fois aux enjeux portés par les agriculteurs, à l'urgence écologique et à l'impératif social d'une alimentation saine accessible à tous. Tel le projet de sécurité sociale de l'alimentation, actuellement expérimenté sur différents territoires en France. Pour François Mandil, c'est "à la fois est une piste intéressante pour faire en sorte que plus personne ne doive tendre la main pour pouvoir manger et en même temps c'est une piste pour réfléchir collectivement à organiser les filières de production avec les citoyens, avec les paysans, pour pouvoir produire localement et de façon saine, et où on serait dans une organisation collective qui permettrait de sortir d'une forme d'agro-business".
Et puis il existe un peu partout des expériences innovantes, originales qui repensent la façon de faire de l'agriculture pour répondre aux enjeux d'aujourd'hui. Pour Florence Gault, les mettre en valeur dans les médias, permettrait de "montrer qu'une autre manière de faire de l'agriculture est possible sans forcément aller culpabiliser l'agriculture conventionnelle. Mais plutôt aller s'inspirer de ceux qui font un peu différemment et qui arrivent à s'en sortir et à avoir notamment un revenu digne au vu du travail qu'ils fournissent".
Sur les autres questions abordées au cours de l'émission, le même besoin d'analyse, de décryptage et de déconstruction des fausses évidences apparaît. C'est le cas par exemple au sujet de la réduction de notre consommation de viande, jugée par les scientifiques absolument nécessaire pour réduire les émissions de gaz à effet de serre mais qui se heurte à des résistances culturelles fortes basées sur la conviction erronée que la cuisine traditionnelle française a toujours abondamment utilisé la viande.
Ça fait plus de 20 ans que les scientifiques alertent, que les stations sont mises au courant, que c'est indéniable et qu'on préfère à foncer dans le mur
Même chose pour les sports d'hiver qui, chaque année reviennent en force dans les médias comme une évidence intangible, alors que l'on sait qu'ils sont incompatibles avec un monde durable et qu'ils ne seront bientôt plus possibles quoi que l'on fasse en raison des effets du changement climatique. "Ça fait plus de 20 ans que les scientifiques alertent, que les stations sont mises au courant, que c'est indéniable et qu'on préfère à foncer dans le mur" se désole François Mandil. Et de rappeler qu'en plus "les sports d'hiver c'est 10% des Français". Et Justine Guitton-Boussion appuie : "c'est comme pour la viande : il y a un déni. Il faut en sortir et se dire qu'il va falloir changer".
Mais le changement ne se décrète pas et sera forcément porteur de violence pour certains. Car, tempère Justine Guitton-Boussion, "même si les vacances au ski ça ne concerne qu'une partie des Français, il y a quand même des personnes qui vivent de ce tourisme. L'idée n'est pas de les laisser tomber mais de les accompagner". Et c'est là sans doute une explication majeure du déni de l'urgence écologique : il s'agit d'accepter des changements vertigineux face auxquels nous sommes démunis. Et de nous retrousser collectivement les manches, dans une société où le collectif a justement du mal à exister.
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