Le 26 juillet 2024, les Jeux Olympiques débuteront à Paris. Et pas seulement. Car cet événement pourrait représenter un nouveau départ pour la Seine-Saint-Denis, le 9-3, un département marqué par des difficultés économiques et sociales et une mauvaise image sécuritaire, mais caractérisé aussi par sa jeunesse et sa capacité d’innovation. Entre opportunités et risque d'impacts négatifs, revue de détail, dans l'émission Je pense donc j'agis sur RCF, en partenariat avec la revue Projet, présentée par Anne Kerléo et Melchior Gormand.
À moins de six mois de l'événement désormais, les points de vue contradictoires continuent de s’exprimer sur ces JOP, Jeux Olympiques et paralympiques de Paris. Alors les JOP 2024, une chance ou un poids ? Avec la Revue Projet, qui a publié à l'été un dossier sur le sujet, l'émission Je pense donc j'agis, sur RCF, choisit de répondre à cette question au plus près du terrain, dans un territoire qui, avec Paris, accueille les JO : le département de la Seine-Saint-Denis.
Peuplé d’1,6 million d'habitants - une population jeune et métissée- côté pile, ce département est marqué par un certain dynamisme économique, une vie associative foisonnante, une capacité d’innovation sociale et côté face, il affiche de forts taux de chômage et de pauvreté (18 % des habitants sous le seuil de pauvreté), de grandes inégalités sociales et l’image d’une zone marquée par l’insécurité. "Un contexte singulier, contradictoire et fertile", est-il résumé dans l’un des articles du dossier de la revue Projet.
Nous sommes l'un des départements les moins bien lotis, sinon le moins bien loti de France en équipements sportifs.
Urbaniste sportif de profession, Martin Citarella est conseiller aménagement du territoire et institutions du Comité départemental olympique et sportif de Seine-Saint-Denis. Il se réjouit du dynamisme sportif de ce département, dans lequel ont grandi de nombreux athlètes de haut-niveau et qui compte "énormément d'associations sportives", mais souligne que c'est un territoire "carencé" en équipements sportifs : "nous sommes l'un des départements les moins bien lotis, sinon le moins bien loti de France en équipements sportifs rapporté au nombre d'habitants. Vous avez en Seine-Saint-Denis 16 équipements pour 10 000 habitants, en Ile-de-France c'est 24 et en France c'est à peu près 50". Et Martin Citarella d'en décrypter les conséquences : "il est parfois difficile pour Monsieur et Madame tout le monde d'avoir un créneau de pratique dans un équipement. Parfois c'est même difficile de s'inscrire en club".
Accueillir les JOP permettra-t-il de sortir de ce sous-équipement ? "Pour moi, répond le conseiller du Comité départemental olympique et sportif, les JO seront une réussite s'il sont un nouveau départ. Il va y avoir un héritage tangible, matériel, incontestable, mais cet héritage ne va pas résoudre toutes les carences en équipement de la Seine-Saint-Denis". Cet héritage tangible, ce sont les rénovations d'équipements comme celle du stade de France, mais aussi la construction de nouvelles installations comme le centre nautique en face du stade de France à Saint-Denis, le village des athlètes qui deviendra un quartier de logements à Saint-Denis, Saint-Ouen et l'Ile Saint-Denis. Et puis de nombreux gymnases, stades et piscines rénovés ou construits. "La trace elle est incontestable" indique Martin Citarella.
Faisons la révolution de l'urbanisme sportif après les jeux !
Mais selon lui, c'est ensuite aux acteurs locaux de se saisir de cet héritage : "à nous, mouvement sportif, collectivités, État, d'agir après pour que ça continue". Et pour lui, résoudre les carences de la Seine-Saint-Denis passe par "un nouvel urbanisme, où la question du sport et des activités physiques et sportives est prise en compte dès le début". Un urbanisme novateur qui pense autrement la ville : "je connais assez peu de réflexions par exemple sur les équipements verticaux : superposer puisqu'on a peu de place". Il plaide aussi pour des places publiques qui intègrent une dimension sportive. "Faisons la révolution de l'urbanisme sportif après les jeux !", interpelle-t-il avec enthousiasme.
Outre le fait qu'une infrastructure en elle-même ne suffit pas, il faut aussi souligner le fait qu'elle peut même devenir un handicap, en raison de son coût de fonctionnement. Selon Marie Delaplace, "on oublie que l'infrastructure en soi ne suffit pas : faut-il encore qu'il y ait des services associés à cette infrastructure, faut-il encore qu'il y ait des maîtres nageurs, faut-il encore chauffer l'eau des piscines". Et elle rappelle qu'un certain nombre de piscines ont fermé leurs portes en raison de coûts devenus trop importants suite à la hausse du prix de l'énergie. L'héritage des Jeux pourrait donc aussi devenir un poids, faute de politiques d'accompagnement.
Quand on regarde les études sur les Jeux passés, les effets sur l'emploi sont extrêmement faibles et même plutôt négatifs.
Au-delà de l'impact sur la pratique du sport dans les territoires hôtes, les promoteurs des Jeux olympiques vantent aussi leur impact sur l'emploi. Un argument que l'on peut mettre en doute si l'on se réfère aux précédentes expériences, selon Marie Delaplace, professeure d’aménagement et d’urbanisme à l’Université Gustave Eiffel, université spécialisée dans l’étude des villes et des processus d’urbanisation et co-fondatrice de L'Observatoire pour la Recherche sur les Méga-Evénements (l’ORME) qui réunit des chercheurs qui travaillent sur les grands événements sportifs. Elle explique : "quand on regarde les études sur les Jeux passés, les effets sur l'emploi sont extrêmement faibles et même plutôt négatifs".
Et pour la chercheuse, il est nécessaire de se poser une seconde question : "des emplois pour qui ?" Et elle explique : "il peut y avoir des bureaux construits en Seine-Saint-Denis, sur le village olympique et sur le village des médias, mais qui va venir y travailler ? Est-ce que ce sont les habitants de Seine-Saint-Denis ou des populations venues d'autres départements ? Il y a un risque que les populations de Seine-Saint-Denis soient reléguées". Une relégation qui risque de toucher encore plus certains habitants de la Seine-Saint-Denis, selon Benoît Hervieu-Léger, journaliste à la Revue Projet : ceux des communes qui ne sont pas associées aux JO, comme Sevran, où 30 % de la population vit en-dessous du seuil de pauvreté. "Donc attention au déséquilibre !" prévient Benoît Hervieu-Léger.
Sur le terrain du logement aussi, il convient de regarder avec prudence les promesses faites par les promoteurs des JOP. Une partie du village olympique doit être converti en logement, avec un pourcentage significatif de logements sociaux prévus. Mais Marie Delaplace met en garde : "Encore faut-il que les politiques en Seine-Saint-Denis tiennent les engagements qu'ils ont par rapport à ce pourcentage de logements sociaux." Du côté des programmes de vente en revanche, les dés sont jetés et sont clairement tombé du côté des plus aisés : "quand on regarde les constructions qui sont en vente aujourd'hui dans le village olympique, on a des tarifs qui sont évidemment non accessibles pour les personnes avec des revenus limités en Seine-Saint-Denis : 7 000 euros le mètre carré, c'est certes moins cher qu'à Paris, mais quand même" déclare la chercheuse.
Voilà qui va contribuer au processus de gentrification déjà à l'œuvre en Seine-Saint-Denis, comme en témoigne Benoît Hervieu-Léger : "je suis moi-même parisien et j'ai beaucoup d'amis qui vivent dans des communes comme Pantin, Montreuil, qui se sont énormément gentrifées, avec des populations qu'on appelle CSP+, des gens qui ont un capital social, culturel, économique, jusqu'à un certain point puisqu'ils sont allés en Seine-Saint-Denis dans des zones pavillonnaires parce que les loyers et l'accès à la propriété étaient devenus inabordables. A Saint-Ouen un certain nombre de loyers ont été multipliés par 3. Il y a un vrai risque de pousser les pauvres plus loin, de se retrouver avec une relégation encore plus forte".
Repousser les pauvres plus loin. C'est justement l'intention que les associations d'aide aux plus démunis prêtent aux autorités, se fondant sur les incitations faites à ces personnes à quitter les territoires d'accueil des JO. Depuis plusieurs mois, le collectif du Revers de la médaille multiplie les actions choc pour rendre visibles les personnes invisibilisées par l’organisation des Jeux olympiques. Les 80 associations françaises et canadiennes membres du collectif s’inquiètent d’un possible "nettoyage social" en Ile-de-France en raison des exclusions de personnes précaires, notamment les sans-abri, les migrants et les travailleuses du sexe.
Martin Citarella se dit choqué par cette invisibilisation, mais il invite à une réflexion collective : "c'est un peu facile, affirme-t-il, de dire que c'est de la faute des Jeux Olympiques. Les JO nous renvoient l'image de la société que nous sommes. Je suis sûr qu'on pourrait faire les JO dans de très bonnes conditions sans avoir à nuire aux intérêts des personnes sans-abri, on pourrait peut-être même faire des choses très positives. Les gens qui font les JO c'est nous tous, c'est notre société dans l'ensemble. Attention à ne pas accuser le thermomètre ou plutôt la loupe quand le problème est peut-être déjà au fond de chacun de nous, du regard que nous avons par exemple sur les personnes sans-abri". Les JOP seraient-ils, à bien des égards, le thermomètre de l'état de notre société ?
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